quarante-six

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Leigh ne parvint à calmer les larmes qui lui montaient sans cesse aux yeux que lorsqu'elle arriva devant la porte de la nouvelle chambre attribuée à Anja. Après sa sortie du coma la veille, on l'avait transférée dans le service de médecine générale où elle restait malgré tout sous grande surveillance.

A vrai dire, Leigh avait même été obligée de se retenir de courir dans la rue, dans les transports en commun ou en traversant l'immense parking de l'hôpital, s'autorisant malgré tout à sangloter par intermittence sur le chemin car elle savait qu'il était inutile de tenter de retenir ses larmes.

Elle avait finalement eu raison d'y croire. Anja était en vie. En vie. En vie.

Leigh songea que bien peu d'événements dans son existence pourraient rivaliser avec l'euphorie qu'elle ressentait depuis ce coup de téléphone.

Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent sur un grand couloir, identique à ceux de tous les autres services. Arrivée dans le bon secteur, Leigh salua Zulaj qui montait encore et toujours la garde devant la porte de la chambre, avant de frapper et pousser la porte.

Face à elle, Anja se trouvait à demi-allongée dans le lit, les draps bleus couvrant seulement ses jambes. Un de ses bras était maintenu par une attelle remontant sur l'épaule. Un petit tube de plastique transparent passait entre son nez et ses lèvres, distillant de l'oxygène à intervalle de temps régulier, tandis qu'un petit moniteur indiquait sa fréquence cardiaque.

Anja tourna la tête vers elle et les yeux émeraude agrippèrent les siens. Leigh sentit de nouveau sa gorge se nouer, elle avait envisagé un long moment ne plus jamais revoir cette nuance de vert, à tel point que le fait de s'y trouver à nouveau confrontée lui retournait l'estomac.

Leigh ouvrit la bouche pour tenter de dire quelque chose, prit une grande inspiration mais celle-ci se bloqua dans sa trachée.

-J'ai une sale tête à ce point ? rit Anja avant d'être prise d'une quinte de toux.

Lorsqu'elle eut reprit son souffle, elle continua d'un air contrit :

-Pardonnez ma voix rocailleuse, l'intubation n'a pas été très appréciée de mes cordes vocales. Il faut que je prenne un peu plus de temps pour m'exprimer visiblement...

Leigh acquiesça en silence et contourna le lit pour s'installer dans le fauteuil réservé aux visiteurs. Elle prit un moment pour détailler le visage de la journaliste qui la regardait toujours sans dire un mot. Et enfin, elle parvint à s'exprimer de façon sonore :

-Vous ne pouvez pas imaginer à quel point je suis ravie de revoir vos yeux, de réentendre votre voix... Vraiment vous n'imaginez pas...

Anja sourit et baissa les yeux sur ses draps un court instant.

-Je suis contente de vous voir avant que la police ne passe prendre ma déposition.

-Votre mari va devoir quitter votre porte durant ce laps de temps je suppose ? Vous pensez être suffisamment en sécurité ?

-Mon mari... Alors vous êtes au courant de ça... Vous avez trouvé les papiers du coffre, n'est-ce pas ?

Leigh hésita un instant, pas certaine que ce soit le moment idéal pour lui faire part de cet événement, et abdiqua finalement :

-En fait j'ai eu une petite conversation avec un flic d'Europol à votre sujet, le jour de votre départ pour la Serbie.

-Oh je vois... Et que vous a-t-il raconté ?

-Il m'a parlé de vos liens avec le crime organisé serbe.

-Et qu'est-ce que vous en pensez ?

-Qu'il va falloir qu'on discute, vous et moi. Mais pas maintenant, pas tant que vous serez en convalescence. Ne vous préoccupez pas de ça pour l'instant, répondit calmement la jeune femme en posant la main sur le bras de la journaliste. Quant au coffre, j'ai trouvé la clé et je l'ai ouvert. Comprenez-moi, je pensais que vous alliez mourir, j'ai considéré que c'était vraiment une situation désespérée...

Anja écarta les inquiétudes de la jeune femme d'un revers de main.

-Ne vous justifiez pas. Cette affaire a complètement dérapé, il est clair que j'ai perdu le contrôle de la situation... Vous avez vraiment bien fait. De toute façon, au vu des derniers événements, je ne suis pas sûre d'avoir encore une porte de sortie. Je ne peux plus vraiment reculer.

-Bien sûr que si vous pouvez ! s'exclama Leigh. Reprenez votre vie comme avant, faites comme si de rien n'était, si vous ne menacez plus personne, alors personne ne vous menacera... Ce n'est pas ça le concept du fameux accord ?

-C'est bien plus compliqué que ça... soupira Anja. Tout est parti en vrille il y a un bout de temps, avant que l'on se rencontre vous et moi, avant même la mort de Lila... Il y a vingt ans de cela, Lila a commis une terrible erreur. Ça a fini par lui coûter la vie, et si je ne lutte pas contre le courant, ça me coûtera aussi la mienne.

-Techniquement, ça a déjà failli vous coûter la vie.

-Je ne crois pas non... Quel tueur à gages digne de ce nom laisserait sa victime en vie une première fois, et ne tenterait même pas de terminer le travail lorsque l'occasion se présenterait à nouveau ? Je suis restée plus d'une semaine dans le coma, il aurait pu me tuer cent fois.

-Peut-être qu'il n'en a pas eu l'occasion, peut-être que Zulaj lui a fait peur...

-Zulaj n'est qu'un petit mafieux de seconde zone, il sait se battre mais ne ferait pas le poids contre un mercenaire surentraîné... Et mon agresseur le sait... Non, je crois vraiment que le but était seulement de me faire peur, pour que je renonce. Donc je me dois d'autant plus de continuer.

Leigh hocha la tête de droite à gauche en signe de désapprobation.

-C'est bien trop dangereux... Je suis sûre que Zulaj ne vous laissera jamais faire.

-Comme s'il avait déjà pu m'empêcher de quoi que ce soit, rit Anja avant de tousser à nouveau. Décidément, chaque fois que je ris je me décroche un poumon, ça va être problématique à l'avenir ça...

-Je suppose que ça va passer au fil de votre rétablissement.

Anja lui sourit.

-Pour revenir à Zulaj, nous sommes peut-être encore mariés devant la loi, mais nous sommes séparés depuis plus de quinze ans, il a perdu le droit depuis longtemps de donner son avis sur la façon dont je mène ma vie. De toute façon, il ignore tout de ce qui se passe réellement.

-Si vous n'étiez pas dans ce lit d'hôpital, je vous demanderais "et à moi, vous allez me dire ce qu'il se passe réellement ?". Mais là, tout de suite, ce n'est pas du tout ce qui importe. Je vous propose que comme pour mon entretien avec le capitaine Rochas, on repousse cette conversation jusqu'à ce que vous soyez pleinement rétablie, parce que je crois que ni vous ni moi ne sommes en état d'affronter la réalité de la situation.

-J'ai une vraie question pour vous. Vous pensez sincèrement que je vais tout vous raconter de A à Z lorsque nous aurons cette conversation ?

-Dans les grandes lignes oui, au moins l'essentiel.

-Je vous trouve bien confiante, dans la mesure où vous commencez à me connaître.. Vous savez combien j'aime raconter seulement ce qui m'arrange...

-J'ai épongé votre sang avec mes doigts alors que vous étiez entre la vie et la mort. Alors je suis certaine qu'après ça, vous n'oseriez pas me mentir droit dans les yeux ou me refuser la vérité.

Anja esquissa un sourire espiègle et fit un clin d'oeil à Leigh.

-S'il y a bien une chose qu'il va vous falloir intégrer, Mlle Davenport, c'est celle-ci... Méfiez-vous de vos certitudes.

Éblouissante [gxg]Where stories live. Discover now