Outstanding Stellar (Loki)

Perdre à son propre jeu

Son regard avait perdu toute trace de vie, j'avais l'impression d'avoir aspiré son âme par le contact charnel que je venais d'entreprendre.

La pression qu'il exerçait sur mon corps, pour me faire comprendre qu'il était énervé quelques instants plus tôt, avait commencée à s'atténuer.
Mon initiative irréfléchie avait eu au moins l'avantage de lui faire oublier ma familiarité qui le rendait à fleur de peau.

Sans le commander, un rictus vint prendre place sur mon visage et je me rendis compte par la même occasion que ça ne m'avait pas déplu.
Ses lèvres étaient dénuées de chaleur, pourtant, elles avaient su éveiller un feu au creux de mes reins que je n'avais pas prévu, ce qui me rendit quelque peu fébrile, mais je fis mon possible pour ne pas faire transparaître mon trouble.

- Ne fais plus jamais ça.

Il avait la voix un peu plus roque que d'ordinaire, il me relâcha d'un seul coup, tournant les talons pour continuer son chemin comme si de rien n'était.

Je ne savais pas quoi dire et en réalité, laisser le silence s'installer à cet instant précis était sûrement la meilleure chose à faire.

J'avais toujours mal au genou, je n'étais évidemment pas au courant de l'endroit où il voulait nous amener, cependant je savais très bien que je n'allais pas pouvoir suivre l'allure sur des kilomètres.

Par chance, nous arrivions assez vite à un dînner sur le bord de la route ou quelques camionnettes étaient encore garés ici et là, les gens mangent-ils à toute heure dans ce pays ?
Un frisson parcourut brusquement la courbe de mon dos à cause d'une brise un peu trop fraîche, j'avais récupéré mes chaussures, mais pas mon manteau.

Je jeta un coup d'œil vif à Loki qui était couvert seulement d'un t-shirt, ne craignait-il pas le froid ?

Nous passons les portes du restaurant, toujours en silence, et allons nous installer au fond sur deux banquettes rougeâtres qui commençaient à être délavées par les nombreuses paires de fesses qui s'y sont installées au fil des années.

Une jeune serveuse arriva assez vite avec deux cartes en mains, grand sourire impeccable sur son joli minois, le regard de biche en supplément pour monsieur.

Beurk.

- Bienvenue chez Sam's ! Est-ce qu'il y aura des boissons ?

Elle parlait avec un accent de je ne sais ou tout en battant des cils devant Loki, moi je n'existais pas ou quoi ?!

Alors qu'il s'amusait de la situation, je décida de prendre les devants, ne supportant pas outre mesure le manque de respect flagrant de cette jeune femme.

- Il y aura 2 Guiness.

J'avais lu quelque part que la Guiness était une bière appréciée par les Anglais, ou c'était les Irlandais ? Peu importe, elle perdit de son splendide et migra enfin son regard sur moi.

- Très bien. Je repasse pour prendre vos commandes.

Elle se retourna et disparu de mon champ de vision en faisant claquer ses talons sur le sol de l'établissement.

Loki n'avait toujours pas pipé mot, à quoi il jouait ?
Je sentais qu'une possible migraine pourrait ressurgir alors je plaça mes mains sur mes tempes et commença à faire quelques petits mouvements circulaires.

Je commençais à en avoir marre de ce type, j'oubliais trop facilement qu'en fait, j'étais ici uniquement parce que je n'avais pas le choix et non parce qu'il s'agissait d'une sortie entre amis, pourquoi ça m'agaçait autant qu'une greluche lui fasse des appels de phares avec ses beaux yeux bleus et son déhanchés professionnel ? J'étais en sursis, il avait le pouvoir de m'arracher la tête de mes épaules par un simple claquement de doigts et moi ma seule préoccupation était de chercher un moyen de rembarrer la serveuse ...

Elle réapparut avec nos deux boissons et nota sur sa petite tablette nos deux hamburgers bacon.
Son décolleté était plus prononcé que la première fois ou elle était venue nous aborder, alors ça existait vraiment ce genre de nanas très entreprenantes ?

Ding.

Mes doigts pianotaient sur la table une mélodie imaginaire, le silence qui était jusque-là agréable devenait pesant, je voulais sortir d'ici, rentrer n'importer où pourvu qu'il y ait un lit et une brosse à dents pour retirer de ma bouche le goût ignoble de la Guiness que j'avais pourtant réussie à finir non sans mal.

Soudain, à force de réfléchir à tout et n'importe quoi, une chose très importante me revint alors en mémoire et l'expression de mon visage devait sûrement avoir radicalement changé puisque Loki daigna enfin m'accorder un regard.

- Mon appareil photo ?!

Il eut un énième sourire moqueur et croisa ses bras sur sa poitrine tout en me toisant avec tout le dédain qu'il était capable de me transmettre.

- Il est en lieu sûr. Je commençais à me dire que tu n'y penserais jamais. Tu vas devoir être sage et obéissante si tu veux le revoir ...

Il s'approcha de moi, posant ses avants bras sur la table et courbant légèrement le dos pour diminuer l'écart entre nous, heureusement pour moi, la table nous séparant demeurait assez large pour garantir une distance de sécurité acceptable.

- La petite scène de tout à l'heure par exemple ...

Son regard débordait de malice, à quoi il jouait bon sang ?

- J'ai l'impression que tu oublies un peu vite que tu es là pour être ma garantie et rien d'autre ... Alors ne t'attache pas.

Son sourire s'étira et ça n'augurait rien de bon, m'attacher ? Sérieusement ? La seule chose que ce type savait faire était d'être manipulateur, brutal et désagréable, jamais je ne pourrais m'attacher à quelqu'un d'aussi fondamentalement mauvais que lui.

Jamais.

Tout aussi soudainement que pour mon appareil photo, j'eus une pensée pour Sawyer, mon petit frère, je m'étais toujours dit qu'il ferait de sa compagne la femme la plus heureuse du monde, il était attentionné, serviable, loyal, malgré la perte de nos parents, il n'a jamais été rancunier, pas même contre l'homme ivre qui est entré en collision avec leur voiture ... Jamais ... Mon frère incarnait tout l'inverse de Loki, il m'avait apaisé, consolé ... A une époque ou moi j'étais révoltée, dépassée, j'étais restée des nuits entières à pleurer dans ses bras alors que j'aurais dû être la plus forte de nous deux.

Je m'en suis évidemment terriblement voulu, à l'époque, il avait 13 ans et moi à peine 17, nous avions alors été recueillis chez une famille de gens pas très honnêtes qui nous ont « adoptés » uniquement pour bénéficier d'une aide de l'état.

À mes 21 ans, j'avais décidé de prendre les rênes de nos vies et j'ai travaillé, mettant mes études de côtés, je devais nous sortir de cet entonnoir et nous trouver un foyer, une stabilité ... C'est donc ce que j'ai fait.

Pendant 4 ans, je me suis occupé de lui et quand il a été en âge d'être indépendant à son tour il est parti vivre de son côté, évidement nous nous voyons toujours très régulièrement mais il ne supportait plus le fait que j'ai pu mettre ma vie en suspend pour m'occuper de lui alors il m'a fait promettre avant de partir de reprendre ma vie là où je l'avais arrêté, j'ai tenu parole, et j'ai entamé des études journalistiques, à 25 ans j'ai alors enfin décroché mon diplôme et été embauchée dans la foulée par une agence de journal locale ... Le pied. Jusqu'à ce que je me retrouve coincée dans les filets de cet homme ... Enfin ce Dieu ... Qui incarne fondamentalement tout ce que j'essayais de fuir dans ma vie. Quel paradoxe.

Je ne saurais dire combien de temps j'avais passé à cogiter toute seule au fond de mes pensées, mais une tape sur ma main me ramena brusquement à la réalité.

- Mange.