Chapitre 1

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   La mare de sang en dessous de moi ne cesse de s'élargir.

Il parait que quand on meurt, on voit sa vie défiler devant ses yeux. Moi, je ne repense qu'aux trois dernières semaines. A chaque décision désastreuse qui m'a conduit à cet instant. Si seulement j'avais géré ce cambriolage seule... Mais voilà, je n'ai pas eu le choix. Toutes les banques intergalactiques ont un système de sécurité informatisé ; le Crédit Spatial Midas (CSM pour les intimes) ne fait pas exception. Au contraire : c'est l'une des plus importantes, et par conséquent des mieux protégées, de l'univers. Pour y entrer, il me fallait un hacker, et je n'en connaissais qu'un : Tyler Parke, un gamin prétentieux, incompétent et indigne de confiance. Nous avions déjà travaillé ensemble par le passé, et j'ai fait l'erreur de le contacter de nouveau. J'entends encore sa voix souffler dans mon oreillette :

- Vas-y, Cass. J'ai désactivé les caméras. Tu peux entrer.

Et moi, comme une idiote, je suis entrée. Sauf que les caméras n'étaient pas toutes désactivées, que je me suis faite repérée, pourchassée, tirée dessus, pour finir ici.

Où je suis, d'ailleurs ? Ça ressemble à une salle de travail, avec toute une rangée de postes vides munis d'ordinateurs. Comme beaucoup de grandes banques, le CSM a établi son siège sur un vaisseau spatial en orbite-plus facile à défendre et contrôler qu'un bâtiment à terre. Cela signifie que le sol et les murs sont en métal, froids ; que le plafond est bordé de néons agressifs, et que l'air filtré a cette saveur stérile si caractéristique. Et c'est ici que je vais mourir. Génial.

J'entends un crépitement dans mon oreillette. Un instant, je crois que Tyler essaie de reprendre contact avec moi, mais non : ce ne sont que des interférences. Ce lâche a pris la fuite dès que les agents de sécurité se sont lancés à mes trousses. J'arrache l'appareil de mon oreille et je le jette à l'autre bout de la pièce. Il se disloque en heurtant le mur, et j'imagine la tête du hacker exploser à sa place. Je sourirais si je n'avais pas si mal.

J'essaie de regarder ma blessure mais des tâches colorées apparaissent devant mes yeux. Je ne vois plus rien, je n'arrive plus à penser. Ai-je reçu un, ou deux tirs ? Je ne m'en souviens plus. Tout ce que je sais, c'est que j'ai un trou dans mon ventre et que j'ai l'impression d'avoir l'estomac en feu. Je n'ai pas vu celui qui a réussi à m'atteindre-mon meurtrier-mais cette plaie est étrange. Elle ne ressemble pas aux brulures des pistolets laser dont j'ai l'habitude. On dirait une blessure par balle, comme dans les séries du XXIème siècle. Je pensais que plus personne n'utilisait ce genre d'armes. Apparemment, je me suis trompée-j'aurais aimé le découvrir autrement.

Une petite voix dans ma tête me souffle que le projectile est peut-être resté bloqué, qu'il faut que je me redresse, que je le retire, que je me lève, m'enfuie, me batte. Que je n'ai que dix-neuf ans et qu'il faut que je survive.

Mais mes yeux se ferment, et ma tête est si lourde...la douleur me semble de plus en plus lointaine. La salle, les ordinateurs, et la sirène qui hurle au loin...cela n'a plus l'air si réel, comme un rêve qui s'efface lentement. Sauf que c'est la réalité qui m'échappe, qui glisse entre mes doigts poisseux de sang. Je suis trop fatiguée, j'ai trop mal pour lutter. J'abandonne.

A moitié délirante, j'entends une porte qu'on ouvre à la volée, des bottes qui claquent sur le sol métallique, et une silhouette floue s'agenouille devant moi. Un homme se penche, tout près, deux doigts glacés se glissent dans mon cou.

- Je sens son pouls. Elle est en vie.

Plus pour longtemps, voudrai-je lui répondre.

Il semble si calme. Je suis en train de me vider de mon sang à ses pieds et lui, il prend son temps.

Deux cercles froids mordent mes poignets. Des menottes.

Quel genre de psychopathe menotte une fille à moitié morte ? Je ne sais pas si je devrais être honorée qu'il me considère encore comme une menace, ou juste terrifiée.

J'aperçois alors l'arme sanglée contre sa cuisse. Un vieux pistolet noir, certainement pas laser. C'est l'agent de sécurité qui m'a tiré dessus.

Soudain, le sol disparaît. J'ai l'impression de tomber. La petite part de moi encore capable de réfléchir comprend qu'il vient de me soulever dans ses bras. Le monde tangue, la douleur dans mon ventre se ravive. Je voudrais le frapper, me débattre, mais mes forces m'abandonnent. Je m'affaisse contre sa poitrine, ma tête bascule sur son épaule.

- Tu ne mourras pas aujourd'hui, Cass, me souffle-t-il.

En tout cas, si je meurs, ce sera sa faute.

Cass (sf/romance)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant