Chapitre 38

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Je jette un œil dans mon microscope et complète mon schéma. La porte du laboratoire s'ouvre dans mon dos, mais je ne me retourne pas.

- Encore là, Henry ?

Je souris en reconnaissant la voix.

- Ça ne peut pas faire si longtemps que ça, réponds-je en levant les yeux vers celle qui vient d'entrer.

Rosa Kibangi a quarante-quatre ans. Ses boucles noires, parsemées de mèches grises, sont noués en un chignon décontracté. Malgré sa silhouette étroite et petite, elle a une façon d'occuper l'espace qui la fait paraître imposante ; une manière de parler qui vous donne envie de l'écouter. Professeure d'Histoire des Sciences, elle s'habille comme ses élèves-jeans, sweat-shirt et baskets-et réussit tout de même à avoir l'air sérieuse.

Junon. C'est Junon, avec 20 ans de moins.

- Il est 22h00, m'indique-t-elle. L'université est déserte.

- Elle ne l'est pas. Nous sommes là.

Elle lève les yeux au ciel.

- Toujours à jouer sur les mots, hein ?

Je n'ai pas le temps de répondre que la porte s'ouvre de nouveau.

- Vous voilà ! s'exclame Tiana Grazziano.

- On vous a cherché partout, complète Artur Moszkowski.

Récemment mariés, ils ont tous les deux 27 ans, et sont parmi les plus jeunes-et brillants-chercheurs en génétique du campus. Grande, mince, toujours impeccablement vêtue, elle possède une cascade de cheveux bruns et un teint de porcelaine. Quant à lui, il est encore plus grand qu'elle, large d'épaules, avec des traits réguliers, un chaos de boucles blondes, un sourire facile et des yeux gris perçants.

Thétis. Elle paraît à peine plus jeune. Et...bon sang, c'est le père de Ross ?

Des fois, je me demande comment Rosa et moi-elle approchant la cinquantaine et moi l'ayant bien entamée-avons pu nous lier avec ces collègues à peine plus vieux que nos élèves.

La réponse, en réalité, est assez simple : nous partageons la même passion pour l'antiquité terrienne. Ses héros, son histoire, ses statues brisées et mythes poussiéreux.

- Ça vous dit d'aller boire un verre ? s'enquiert Artur.

- Carrément, répond Rosa.

Je marmonne quelque chose à propos de mon expérience.

- Rabat-joie, rétorque Tiana.

Elle sourit ; puis ce sourire se tord, devient une grimace. 

Le laboratoire disparaît. Une chambre d'hôpital le remplace : une odeur de désinfectant, le bip-bip d'une machine en arrière plan, et la jeune femme, recroquevillée dans son lit. Je ne l'ai jamais vu aussi négligée, aussi abattue. Son visage-rouge, creusé de cernes, mouillé de larmes-a quelque chose de presque inhumain. Ses cheveux noirs emmêlés contrastent avec le blanc de sa blouse en coton.

Rosa et moi sommes là, avec elle, chacun d'un côté. 

Pas Artur.

Je ne sais pas quoi dire.

- Il...balbutie Tiana. Il ne peut pas être mort...

Rosa lui prend la main, la serre. Ses yeux brillent de larmes.

- Il l'est, Tiana. Je suis désolée.

- Pourquoi ? gémit-elle. Pourquoi il est mort, si moi je suis en vie ?

Cass (sf/romance)Where stories live. Discover now