Chapitre 31

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 Je lève la main pour toquer, puis me fige en plein geste. Peut-être devrais-je attendre avant d'agir, prendre le temps de réfléchir.

Tant pis. Je frappe trois coups sur la porte. Ross ouvre.

- Jackson ! Tu vas bien ?!

Sa voix est chargée d'inquiétude. Ses yeux me parcourent de haut en bas, puis de bas en haut, comme pour vérifier que je suis en un seul morceau. J'imagine sans mal ce qu'il voit : une fille épuisée, un fouillis de mèches grasses, des cernes noires sur un teint de cadavre. Des bleus en forme de main sur le cou et des taches de sang sur ce qu'il reste de mes vêtements.

- Je vais bien, réponds-je.

Je tiens à peine debout, mais il n'a pas besoin de le savoir.

Son regard s'attarde sur ma gorge. Il lève une main, la passe sous mes cheveux et caresse la peau contusionnée. Je frissonne à son contact.

- Qui t'as fait ça ?

- Un gardien.

- Je vais le tuer.

Je frissonne à nouveau, pour une tout autre raison.

- Déjà fait.

- Il a souffert ?

- Oui.

Il sourit, et quelque chose doit sérieusement clocher chez moi, parce que je lui rends son sourire. Puis je me rappelle pourquoi je suis venue.

Sait-il ?

Thétis côtoie Rémond au quotidien. Elle a dû reconnaître Ross à l'instant même où elle nous a vus dans le réfectoire. Pourtant, elle n'a rien dit. Pourquoi ?

Peut-être pour nous manipuler. Oui, peut-être qu'elle nous a laissés agir parce qu'elle voulait savoir ce que l'on cherchait, peut-être qu'elle s'est jouée de nous.

Ou alors...ils se sont joués de moi.

Qu'est-ce qui me prouve que Ross n'est pas dans son camp, en fin de compte ? Après tout...c'est sa mère.

Non. S'il était de mèche avec Akhilleús, il ne serait pas ici, à mes côtés, il ne se serait pas jeté dans le vide pour me sauver la vie.

Mais peu importe tout ça, peu importe ce que je crois ou ce que je veux croire. L'enjeu est trop important : il me faut des preuves. Quel qu'en soit le prix.

- Je peux entrer ?

Mon coéquipier s'écarte. Sa cabine est encore plus minuscule que la mienne. Il claque la porte, et j'ai l'impression de manquer d'oxygène.

- Jackson ?

Je me force à respirer profondément. A me concentrer sur Ross, sa voix, son visage, plutôt que sur les murs qui semblent prêts à se refermer sur moi.

Je sors le pistolet laser que j'ai caché sous mon t-shirt et le pointe sur sa tête.

- Dis-moi la vérité, lui jeté-je sèchement. Est-ce que tu travailles avec Thétis ?

Il écarquille les yeux.

- Mais qu'est-ce qui te prends ?

- J'ai le flingue. Je pose les questions.

Je redresse les épaules, le fixe sans pitié. Je ne dois pas lui montrer à quel point ça me fait mal de me tenir droite, et encore plus mal de le menacer.

- Je crois que c'est toi qui me dois des explications, proteste Ross, pas franchement impressionné. C'était qui, ce type, dans le couloir ? Mon sosie ?

Je lui tire dans la cuisse. Il serre les dents et s'appuie sur le mur pour ne pas perdre l'équilibre. Le pistolet tremble dans ma main. Je voudrais l'aider, mais je ne peux pas. Je ne dois pas.

- Je croyais qu'on avait dépassé ce stade, Jackson, grogne-t-il.

Il le masque bien mais je sais qu'il souffre. Sa douleur traverse notre lien mental.

- Je pensais aussi, répliqué-je. Maintenant réponds-moi. Est-ce que tu travailles pour Thétis ?

- Non. Bien sûr que non.

Je pousse un soupir de soulagement. Il dit la vérité. Je perçois sa sincérité comme j'ai perçu sa...

En un instant, il m'a désarmée et plaquée au sol. Je remarque, trop tard, que la plaie dans sa jambe a déjà cicatrisée, ne laissant qu'un trou net dans le tissu de son pantalon. Il est assis sur moi, ses mains enserrent mes poignets et les maintiennent au-dessus de ma tête. La douleur explose dans ma hanche, au niveau de ma blessure, et je laisse échapper un gémissement.

Son poids se fait plus léger. Il m'immobilise toujours, mais fait attention à ne pas m'écraser. Alors que je viens de lui tirer dessus.

Je remarque alors la tablette posée sur son lit. L'écran est allumé et deux dossiers s'y affichent. Il suit mon regard et prend un air coupable.

- C'est la sauvegarde de Tyler ? demandé-je.

- Oui. Je...j'ai lu ton fichier, avoue-t-il.

- J'ai lu le tien, alors je suppose qu'on est quitte.

- Tu viens de menacer de me tuer. On sera quitte quand tu m'auras donné tes raisons. Et elles ont intérêt à être bonnes.

- Ross...est-ce que...

- Est-ce que quoi ?

- Tu n'as lu que mon fichier ?

- Pourquoi ?

Je sais que ça veut dire oui. Je prends une grande inspiration.

- Assieds-toi.

Il hésite un instant, mais finit par me libérer. Je suppose qu'il ne me croit pas capable de vraiment lui faire mal. Je repense au gardien et à son crâne en morceaux. Il ne sait pas à quel point il a tort.

On se place côte à côte sur l'étroite couchette. Je pourrais lui montrer grâce à notre lien mental, mais je ne veux pas qu'il ait accès à mes émotions, alors je me force à articuler les mots, commençant avec Rémond et terminant avec Thétis. Quand je me tais enfin, on se fixe en silence. Mon cœur bat si fort que je crains qu'il ne lâche. Je n'arrive pas à déchiffrer son visage. C'est peut-être stupide, mais je me sens coupable, tellement coupable, de lui annoncer tout ça.

D'avoir douté de lui, aussi.

Je viens de lui tirer dessus, mais il n'a pas l'air de m'en vouloir. Pourquoi me pardonne-t-il si facilement ? Je préférerais qu'il m'en veuille, parce que je sais que sinon, c'est à lui-même qu'il s'en prendra.

Cass (sf/romance)Where stories live. Discover now