Chapitre 39

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Je dois sortir d'ici. Je n'en peux plus, c'est trop.

Je mobilise toute mon énergie et tire mon esprit en arrière, l'extirpe de ces souvenirs qui ne m'appartiennent pas, de ces pensées et sentiments qui me noient...

Non, tonne le Prof.

Laisse-moi partir.

Non, non, pas encore. Il te manque le plus important.

Je sens que ce n'est pas la vraie raison. Mon pouvoir le fascine et il veut que je lui en montre plus, comme un gosse dans un manège qui n'en a jamais assez. Son avidité le ronge, le tue lentement. Encore une fois, j'essaie de regagner ma tête, mais les images me submergent et je me retrouve entraînée.

Je suis dans le laboratoire de l'université. J'observe au microscope la dernière version de notre sérum, le Styx. Il n'est pas encore au point, mais on progresse chaque jour.

Cela fait six mois que nous nous sommes lancés dans ce projet. Tiana et moi ne vivons plus que pour ça. Je ne dors presque plus, et elle non plus. Rosa...Rosa est moins investie. Elle s'inquiète pour notre amie, dit qu'une femme enceinte devrait se reposer et non donner toute son énergie à un projet insensé. Je crois que, quand elle a accepté de nous aider, elle s'attendait à ce que nous laissions tomber au bout de quelques jours. Tout s'est décidé sur un coup de tête, après tout. Mais nous n'abandonnerons pas. Nos avancées ne nous ont rendus que plus enthousiastes.

Soudain, Tiana fait irruption dans la pièce.

- Henry ! Viens m'aider !

Je me lève aussitôt et écarquille les yeux à la vue de l'enfant qu'elle porte. Pas celui dans son ventre à présent bien arrondi, non : celui qu'elle traîne tant bien que mal par les poignets. C'est un garçonnet de quatre ou cinq ans, visiblement inconscient. Je me précipite au secours de mon amie et prend le petit dans mes bras.

- Bon sang, Tiana, qu'est-ce qui s'est passé ? Il faut l'emmener à l'hôpital !

Elle me regarde comme si une deuxième tête venait de me pousser.

- Ne sois pas stupide, me lance-t-elle sèchement. Il ne va nulle part.

Elle se redresse et se dirige à pas conquérants vers mon microscope.

- C'est du Styx ? s'enquiert-elle.

- C'est pas le moment pour ça ! On doit...

Elle m'ignore, s'empare d'une seringue et la remplit de liquide. J'écarquille les yeux.

- Mais qu'est-ce que tu fais ?!

Elle s'avance. S'arrête juste en face de moi et plonge ses yeux dans les miens. Son visage est impassible, froid comme celui d'un robot. Je ne l'ai jamais vu aussi sérieuse.

- On ne peut pas faire nos tests sur des rats pour toujours, Henry. Il est temps de passer à la phase supérieure.

Un sentiment d'horreur s'abat sur moi comme une vague, s'infiltre jusque dans mes os.

- Non, murmuré-je. Tiana...on ne peut pas faire ça.

Son masque se fissure, et soudain je vois ce que j'aurais dû voir depuis des mois déjà : elle est hors de contrôle. Ce qui n'est pour moi qu'un projet est pour elle une obsession. Elle a perdu tous ses repères quand Artur est mort, et maintenant...elle noie son chagrin dans la science comme quelqu'un d'autre le noierait dans l'alcool.

Il faut que ça s'arrête.

Mais je ne veux pas que ça s'arrête.

Mon regard se pose sur la seringue. Ce produit, ce produit que nous avons conçu, pourrait changer le monde. Dans mes veines pulse un besoin que je ne peux contrôler : celui de voir si ça va marcher, si on a réussi. Celui d'aller jusqu'au bout.

Cass (sf/romance)Where stories live. Discover now