Chapitre 11

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- Et toi, Ross ? Pourquoi tu es encore là ?

- Je te l'ai dit. Je ne laisse jamais une mission inachevée.

- Pourquoi ? Ce n'est pas comme si tu ressentais quoi que ce soit pour ces enfants.

- C'est pas une question de morale. J'ai été fabriqué pour ne jamais abandonner.

- Mais Junon t'as ordonné de partir.

- Ça ne change rien. Je suis un robot, Jackson. Me demander d'aller à l'encontre de ma programmation, c'est comme te demander d'arrêter de respirer. Maintenant que je suis lancé sur cette mission, je dois la terminer.

Je tente de m'imaginer à sa place, prisonnière de lignes de code inscrites pas quelqu'un d'autre dans mon cerveau. Je crois que je deviendrais dingue. Je suppose que ça lui va, à lui. Il n'a pas d'émotions, après tout, alors comment cela pourrait-il le déranger ?

- C'est l'Organisation qui t'as créé ? Tourne à droite.

Il s'exécute. J'ai du mal à avaler ses explications. Peut-être qu'il ne ment pas, mais il ne dit pas tout.

- Tu comptes m'expliquer où on va ?

J'ai bien remarqué qu'il cherche à changer de sujet et je m'apprêtes à le lui reprocher, mais sans savoir pourquoi je me retiens.

- Chez une vieille amie à moi. Elle pourra nous aider.

Il hausse un sourcil.

- Quoi ?

- Tu as des amis ?

- Le concept doit être un peu dur à saisir pour toi, robot...

- La seule chose que j'ai du mal à saisir, c'est que quelqu'un puisse t'apprécier.

Bien malgré moi, je sens mes lèvres s'étirer.

- Mon dieu...est-ce que tu souries, Jackson ?

A mon tour de changer de sujet.

- On est arrivés. Arrête-toi.

Vywyan Kat habite un immeuble étroit et grisâtre. Même s'il ne paye pas de mine, il est situé dans une zone prisée de Trekyon, le quartier des artistes. Musique et rires y résonnent tard dans la nuit. Chanteurs, danseurs et caricaturistes se produisent côte à côte dans la rue, devant les nombreux théâtres, cinémas et galeries d'art. En levant la tête, on peut apercevoir, tout proche, les gratte-ciel du quartier d'affaires.

Tandis que je grimpe les marches défoncées et familières qui mènent à l'appartement de la jeune femme, je sens la nervosité monter. Qualifier Vywyan d'amie était excessif. Nous l'avons été, un jour, ou plutôt, nous aurions pu l'être-si j'avais encore été capable d'accorder ma confiance à qui que ce soit.

Quand on s'est rencontrées, je n'étais qu'une gamine effrayée et perdue. Bien qu'à peine plus âgée que moi, elle s'est fait un devoir de me prendre sous son aile, et je n'ai pas eu la force de la repousser. Puis je suis partie. J'ai quitté Zanko 10-je l'ai quittée, elle-sans un mot d'adieu.

Arrivée sur son palier, je reste le poing suspendu à quelques centimètres de la porte, incapable de frapper.

- T'attends quoi ?

Je fusille Ross du regard et toque. Quelques secondes plus tard, Vywyan ouvre. Ses yeux s'écarquillent quand elle me reconnait.

Elle est grande, autant que Ross. Une masse impressionnante de boucles brunes encadrent son visage fin ; deux oreilles de chat, noires et touffues, en émergent. Ses yeux, jaunes vifs et les pupilles en fentes, ressortent comme des lanternes sur sa peau sombre. Elle porte une longue robe à motifs, et ses doigts délicats sont chargés de bagues. Un gros pendentif en forme de lune tombe sur sa poitrine.

C'est une zoonite, une voyante, et accessoirement, une excellente faussaire.

Je m'attend à ce qu'elle me claque la porte au nez, qu'elle me frappe, bref, qu'elle me reproche mon départ. Mais elle m'agrippe le bras et m'entraîne à l'intérieur sans un mot.

Son appartement ne ressemble pas au reste de l'immeuble. C'est une plongée dans un autre siècle. Une fois qu'on y est entré, on n'a qu'une envie : y rester. Les murs du salon sont recouverts d'épaisses tentures colorées, et le sol de tapis moelleux. Ici, pas de néons agressifs : rien que la lueur dansante d'une foule de bougies de toutes formes et tailles, ainsi que d'un antique poêle à bois. La pièce baigne dans une chaleur agréable et une odeur d'encens. Des fauteuils et des poufs sont disposés un peu partout, autour d'une table basse sur laquelle sont empilées des cartes de Tarot Cosmique.

- Asseyez-vous, nous dit Vywyan.

Ça sonne un peu comme une invitation et beaucoup comme un ordre. Nous nous exécutons. Elle prend place face à nous et commence à mélanger les cartes.

- Vywyan...

- Tais-toi, Cass.

- Laisse moi t'expli...

- C'est mon rôle de t'expliquer. Je suis une voyante, tu te souviens ?

- Une voyante ?! fulmine Ross. Tu m'as emmené voir une voyan...

- Toi, le brun ténébreux, tu la fermes.

Ça m'arrache presque un sourire. Puis Vywyan tire une première carte et l'abat brutalement sur la table.

- Ton passé, Cass. Le Téléporteur Brisé. Tu sais ce que ça veut dire ?

- Wy...

- Le Téléporteur Brisé représente une décision inconsidérée et égoïste. Par exemple, quitter la ville et la planète sans prévenir aucun de tes amis, du jour au lendemain, ne pas répondre à leurs messages, et les laisser morts d'inquiétude pendant deux ans.

- Ecoute...

- Seconde carte : ton présent. L'Eclipse Solaire. Autrement dit : un truc qui revient quand personne ne l'attend et fait chier tout le monde.

- Je suis sure que ce n'est pas la vraie signification.

- Troisième carte, la Météorite. Quelque chose de douloureux et soudain va survenir dans ton avenir proche. Oh, attend, je sais ce que sais.

Je pourrais éviter son coup, mais je la laisse me gifler. La douleur allège un peu ma culpabilité.

- Mais qu'est-ce qui t'as pris, Cass ? crie Vywyan.

- Je suis désolée, d'accord ?

- Désolée ? Tu te fiches de moi ? Tu étais où, d'abord ? Et pourquoi tu ne m'as pas prévenue que tu partais ?

- Je n'ai pas eu le temps, c'est compliqué...

- Qu'est-ce qui est compliqué, Cass ? Explique-moi.

Ma gorge se noue. Le souvenir de ma dernière journée sur Trekyon s'invite dans ma mémoire et je le repousse de toutes mes forces.

- Je ne peux pas.

- Non, tu ne peux pas. C'est toujours pareil, avec toi, dès qu'on te pose une question un peu trop personnelle tu t'enfuis. Et je l'ai accepté. J'ai accepté que tu ne me fasses pas confiance malgré tout ce que j'ai fait pour toi, même si moi, je t'aurais confié ma vie. Je crois que je méritais au moins un au-revoir. Trois syllabes, Cass, c'est tout ce que j'aurais voulu, mais même ça tu es trop paranoïaque pour me l'avoir accordé.

Chaque mot s'enfonce comme un poignard dans ma poitrine. Le pire, c'est qu'elle a raison. Même à présent, je ne lui fais pas confiance.

Je sens la colère monter en moi. Non, je ne lui fais pas confiance, et elle ne devrait pas me le reprocher. J'ai mes raisons.

- Être paranoïaque, asséné-je, c'est le meilleur moyen de rester en vie.

Ses yeux de chat s'emplissent de larmes. Je me demande si elle va me gifler de nouveau. A la place, elle me prend dans ses bras et me serre presque assez fort pour m'étouffer.

- Oh, Cass, me murmure-t-elle. Mais qu'est-ce qui a bien pu t'arriver pour que tu penses cela ?

Je lui rend son étreinte et fais semblant de ne pas l'avoir entendue.

Cass (sf/romance)Donde viven las historias. Descúbrelo ahora