Chapitre 32

148 17 12
                                    

 - Thétis Grazziano est ma mère.

Je hoche la tête. Son ton est d'une neutralité inquiétante. Puis ses yeux s'enflamment.

- C'est ma mère, répète-t-il, et elle m'a torturé comme si je n'étais qu'un foutu rat.

Je ne peux qu'hocher de nouveau la tête. La douleur dans sa voix me fend le cœur.

- Tu as embrassé mon frère jumeau, ajoute-t-il.

Le changement de sujet me prend au dépourvu, et même si je ne suis responsable de rien dans cette histoire, je ne sais plus où me mettre.

- C'est lui qui m'a embrassée, le corrigé-je. Et on n'est pas sûrs à cent pour cent que ce soit ton frère.

- Si c'est le cas, alors Thétis a torturé ses deux enfants.

- On ne sait pas exactement ce que lui a subi.

- Je ne crois pas avoir envie de le savoir.

J'hésite, puis suggère :

- Il faudrait examiner les fichiers plus attentivement. Il y en a peut-être un à son sujet.

Sans un mot, Ross prend sa tablette. Il fait défiler les documents, mais s'arrête sur le sien plutôt que d'en chercher un autre. Je le laisse lire en silence. Son visage se ferme un peu plus à chaque nouvelle page. Il se fige soudain. Ses doigts se crispent sur la plaque de verre, si fort que ses phalanges blanchissent. Il se fait souffrir, je le vois, je le sais, et je ne le supporte pas. Doucement, je lui prends l'appareil. J'examine du coin de l'œil ce qui s'affiche à l'écran. Je m'attends à trouver l'encadré concernant ses origines, la preuve de sa parenté avec Thétis, mais non. C'est un graphique. Je mets quelques secondes à le déchiffrer.

Il représente l'évolution de la "part d'humanité du sujet". Elle démarre à 100% et dégringole doucement avec le temps, jusqu'à glisser juste en dessous de 50%.

Ross ricane doucement.

- Le pire, c'est que je commençais à te croire. A croire que j'étais humain.

- Tu es humain.

- Non, je ne le suis pas. Ma mère est une psychopathe, mon frère jumeau aussi, et comme si ça ne suffisait pas, je suis une machine. C'est écrit là, noir sur blanc. 51% un robot, 49% une personne : la majorité l'emporte.

- Si tu étais un robot, l'idée ne te contrarierait pas autant.

- Ça ne me contrarie pas.

- Bien sûr que si.

Je manque de hurler de frustration. J'ai rarement rencontré quelqu'un d'aussi sensible que lui, et l'idée qu'il se considère comme un vulgaire automate...Si seulement il pouvait se voir comme je le vois, moi.

Mais peut-être...peut-être qu'il pourrait.

Même si je n'en ai pas vraiment besoin, je lui prends les mains. Il se raidit, surpris, mais déjà je suis dans sa tête et les souvenirs défilent.

Notre première rencontre, la haine qu'il m'inspirait. Puis cette nuit chez Vywyan, où il m'a révélé son secret, où je l'ai vu, pour la première fois, tel qu'il est vraiment. Toutes ces conversations dans notre chambre à MétaLab. Tous les sentiments que j'ai vues reflétés sur son visage, et tous ceux que j'ai éprouvés pour lui.

Le flot d'images accélère, elles défilent sans que je choisisse ce que je lui envoie et ce que je retiens. Ses émotions se mêlent aux miennes, un tourbillon trop violent pour que je le déchiffre. Je suis en train de perdre le contrôle.

Je m'écarte brusquement.

Des bouts d'os et de cervelles. Du sang et toujours plus de sang. Je l'ai tué, et sans même le toucher, et je n'arrive pas à le regretter.

- Tu as raison, souffle Ross. Je suis humain.

Je suis trop bouleversée pour me réjouir. Je bloque notre lien mental avec toute la force que je possède, érigeant entre nous une véritable muraille. Il le sent et me fixe d'un air trahi. Il semble encore plus blessé que quand j'ai pointé mon pistolet sur lui, et je ne peux m'empêcher de penser qu'il a un sens moral sérieusement déréglé.

- Qu'est-ce qui ne va pas ? me demande-t-il.

- La télépathie...on ne peut pas continuer. C'est fini.

Je bondis sur mes pieds mais il me retient par le bras.

- A quoi tu joues, Jackson ? Pourquoi me forcer à accepter ce que je ressens, pour me rejeter ensuite ?

- Je ne te rejette pas. Mais notre connexion mentale doit cesser. Maintenant.

- Pourquoi ? Explique-moi. Tu ne peux pas me laisser comme ça.

Son ton est suppliant. Je mobilise toute ma volonté pour ne pas lui céder.

- Je suis en train de le faire, répliqué-je d'une voix sèche.

Puis je sors de la pièce. Si je reste une seconde de plus, il me verra pleurer.

Cass (sf/romance)Where stories live. Discover now