Cass (sf/romance)

Chapitre 10

Je marche. Je sors de l'impasse en trombe et je marche, et je marche. Je ne sais pas où je vais, le monde autour de moi n'est plus que silhouettes floues et bruits étouffés. Je marche parce que si je m'arrête, je vais me mettre à penser et si je pense, je vais craquer.

Quelqu'un m'attrape par le bras. Je me retourne d'un coup et me débats, en vain. Je ne vois pas le visage de mon agresseur, seulement son torse, ses mains qui m'immobilisent...

- Jackson ! Jackson, calme-toi bon sang !

Mon coude s'écrase dans son estomac, mon genou dans son entrejambe. Loin de me relâcher, il me serre plus fort, je suis prisonnière, impuissante. Je suis de retour dans les laboratoires d'Akhilleús, je suis attachée sur la table d'opération...

- Jackson, c'est moi !

Je suis dans l'esprit du zoonite, je suis avec lui tandis qu'il pourchasse les enfants dans les rues de Trekyon et les ramène à MétaLab, je suis dans sa tête et je ne peux pas en sortir...

- Cass !

Mon prénom agit comme une formule magique. D'un coup, je le reconnais. Ross.

Je cesse de me débattre. Haletante, je prends peu à peu conscience de ce qui m'entoure : les regards curieux qu'on nous jette, les voitures qui défilent juste à côté de nous...J'ai failli me faire écraser. Mon coéquipier m'a sauvé la vie.

- Qu'est-ce qui t'as pris ?

Je croise son regard furieux, et réalise soudain à quel point nous sommes proches. Je suis collée à lui, et je sens son cœur battre contre le mien-si régulier. C'est normal, pour un robot, d'avoir un cœur ? Mon rythme cardiaque s'accorde au sien, s'apaise. La chaleur qui se dégage de sa poitrine me calme. Je sais que je devrais m'éloigner, mais étrangement, je n'en ai pas envie. Emprisonnée dans ses bras, je me sens presque...en sécurité.

- Tu es vraiment stupide, tu sais ça ?

Je le repousse, furieuse, et il me laisse partir.

- Une autre gentille remarque à me faire ? lui lancé-je, sarcastique.

- Tu tues notre unique témoin, et ensuite tu pars en courant te jeter sous les roues des voitures ! Sérieux, c'est quoi ton problème ?!

Tu tues notre unique témoin. De nouveau, j'ai l'impression d'étouffer. Je revois la tête du zoonite exploser, l'éclat du tir laser, les bouts de cervelle et d'os qui giclent dans tous les sens...bon sang, j'en ai plein les mains.

Je m'efforce d'empêcher ma voix de trembler :

- On a plus besoin de ce type. J'ai toutes les infos qu'il nous faut.

- Et tu as décidé de te faire écraser avant de les partager ?

- J'ai paniqué, ok ?!

Je n'ai pas pu m'en empêcher de crier. Je sens les larmes me monter aux yeux. Non, non, non.

Ross doit voir que je suis sur le point de m'effondrer, parce que son expression s'adoucit. Je serre les dents. Je ne veux pas de sa pitié.

- C'était la première fois que tu tuais quelqu'un, pas vrai ?

Oui.

- Pour qui tu me prends, Ross ? Je suis une criminelle.

- Tu es une voleuse. Pas une meurtrière.

Au-dessus de nos têtes résonnent soudain les sirènes de navettes de police. On n'a plus le temps de débattre, il nous faut un plan. J'enfouis mes émotions tout au fond de moi et me force à réfléchir. La priorité est de trouver un endroit où se réfugier pour se débarrasser des trackers et planifier la suite des opérations.

Je sais exactement où aller.

- Suis-moi, ordonné-je à Ross.

Je n'attends pas sa réponse pour m'élancer dans la rue. Il me rattrape en quelques enjambées agacées.

- On cherche quoi ?

- Un parking.

Cinq minutes plus tard, nous avons volé un véhicule et Ross est au volant.

- Tu devrais me laisser conduire, tempêté-je.

- Après ton numéro de tout à l'heure, non merci. Je tiens à la vie.

- Tu ne sais pas où on va...à gauche, à gauche ! Mais c'est pas vrai, tu as déjà conduit une voiture avant ?!

- Je conduis des vaisseaux spatiaux, Jackson. Une voiture, c'est à peine plus compliqué qu'une trottinette.

- J'ai du mal à t'imaginer sur une trottinette.

- Ne perds pas ton temps à essayer et dis-moi ce que tu as vu dans la tête du zoonite.

Je prends une grande inspiration, repousse les images qui envahissent mon esprit.

Hors de question d'expliquer mon lien avec Akhilleús. Cependant...si je veux mettre fin aux expériences inhumaines de MétaLab, je vais avoir besoin de l'aide de Ross ; et pour cela, il faut qu'il sache dans quoi il s'embarque-au moins un peu.

- Il n'a pas volé la mallette. MétaLab l'a chargé de la revendre. Le produit qu'elle contient s'appelle le Styx. Il permet...d'augmenter les capacités de celui à qui on l'injecte.

Je ne peux m'empêcher de penser au tatouage sur mon épaule. CA55 pour Cognition Augmentée 55. Aucun doute : le produit qu'on m'a injecté pendant mon enfance était une version plus ancienne du Styx. Douze ans plus tard, rien n'a changé. Akhilleús a pris fin, mais Akhilleús 2 l'a remplacé, et d'autres innocents sont kidnappés et utilisés, comme je l'ai été.

Seule différence : le programme dont j'ai été victime était clandestin, précaire. Aucune façade légale ne le protégeait : MétaLab n'existait pas encore. A présent...c'est sous un véritable empire pharmaceutique et commercial que se cache le projet.

Qu'importe. Je réduirai cet empire en cendres.

La détresse qui me noyait un peu plus tôt s'apaise, remplacée par une colère froide et dévorante.

- Ils testent le produit sur des gosses. Aucune chance que ce soit légal. Il faut qu'on mette fin à ça, Ross.

Il ne répond pas, et je finis par me tourner vers lui. Nos regards se croisent.

- C'est pour ça que tu l'as tué ? Ce que tu as vu dans son esprit...t'as rendue dingue ?

Mes yeux fuient vers la route.

- Exactement, Ross. Je l'ai tué parce que c'était un psychopathe qui prenait plaisir à torturer des gamins. Je l'ai tué parce que je me suis retrouvée dans sa tête, et que je ne l'ai pas supporté.

- Jackson...

- Ne te fatigue pas à faire semblant de comprendre, robot.

- Je ne fais pas semblant.

- Oh ? Donc tu as des émotions ?

- Je sais ce que c'est...

J'éclate de rire. Ses mains se crispent sur le volant. Si ce n'était pas impossible, je penserais que je l'ai blessé.

Le silence s'installe, lourd et tendu. C'est Ross qui le brise.

- J'ai réfléchi. Je pense que Junon t'as recrutée précisément pour cette mission. Qu'elle nous a envoyés tous les deux parce qu'elle savait qu'aucun de nous n'abandonnerait, quels que soient les ordres. A mon avis, elle a les poings liés à cause de l'influence de MétaLab, mais elle veut qu'on enquête.

Mon souffle se bloque dans ma gorge. Ross a raison. Si Junon connaît la vérité à mon sujet...elle devait savoir que je ne partirais pas sans agir, pas après avoir découvert l'existence d'Akhilleús 2.

Ce qu'il soulève une question : que sait mon coéquipier de tout cela ?

- Ta théorie tient pas. Je suis une criminelle. La seule chose à laquelle Junon devait s'attendre de ma part, c'est une tentative d'évasion, pas un excès de professionnalisme.

- Dans ce cas, pourquoi tu es encore là ?

Je soutiens son regard.

- Et toi, Ross ? Pourquoi tu es encore là ?