Chapitre 41

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- Il faut que je parle à Ross, annoncé-je en entrant dans le vaisseau. Seule.

Ils sont tous regroupés dans l'entrée. Visiblement, ils attendent là depuis mon départ : Tyler et Vywyan assis par terre, mon coéquipier appuyé contre un mur.

Sans un mot, ce dernier s'avance vers moi. Il glisse une main dans mon dos, comme pour me soutenir.

- Je suis là, Jackson, me souffle-t-il.

Ai-je l'air si mal en point que ça ?

Je le laisse m'entraîner vers ma chambre. Il me fait m'asseoir sur le lit, s'installe à côté de moi, sa main toujours dans mon dos. Une voix me souffle que je devrais le repousser, que je dois me montrer forte, mais tout à coup je me sens incroyablement lasse.

Alors je cesse de lutter. J'appuie ma tête sur son épaule et je me blottis contre son torse, laisse sa chaleur m'envelopper. Il referme ses bras sur moi et, sans pouvoir rien y faire, je me remets à pleurer.

- Je...balbutié-je entre deux sanglots. Je dois te raconter...

- Plus tard, Jackson. Plus tard.

- Arrête, murmuré-je.

- Arrêter quoi ?

- De m'appeler Jackson. Ne m'appelle pas comme ça. Plus jamais.

- D'accord. D'accord, Cass.

- Je ne veux plus...je ne veux plus entendre parler de lui. Je ne veux plus entendre son nom.

- Je ne le prononcerai plus.

Le silence s'installe, seulement rompu par mes sanglots. Je voudrais pouvoir m'arrêter, mais c'est impossible. Enfin, je n'ai plus aucune larme à verser. Mes yeux sont rougis et gonflés ; ma gorge est desséchée et un goût de sel imprègne ma langue.

- Tu veux que j'aille te chercher un verre d'eau ? me souffle Ross.

- Non ! Non, ne me laisse pas.

- Je ne vais nulle part.

Il me serre un peu plus fort contre lui.

- Mais dis-moi, ajoute-t-il. Dis-moi si tu as besoin de quoi que ce soit. Des mouchoirs, un pull, ou juste de l'espace. Ce que tu veux.

Je me contente de fermer les yeux. Sa présence m'apaise d'une manière que je n'aurais pas crue possible. Peu à peu, ma respiration ralentit, tous mes muscles se relâchent.

- Tu sens la fraise, lui glissé-je sans y penser.

- Je sais. C'est mon gel douche.

Je lève les yeux vers lui.

- Quoi ?

- Rien. C'est juste...j'ai du mal à t'imaginer utiliser un gel douche à la fraise. Tu sais, ça ne va pas trop avec ton numéro de « je suis un robot, laisse moi tranquille ou je t'assommerai à coup de sarcasmes ».

Il hausse un sourcil moqueur.

- Je n'ai jamais assommé personne avec mes sarcasmes.

- Oh, mais je suis sûre que tu as déjà essayé.

Il laisse échapper un rire. Je ne l'ai jamais entendu rire comme ça, d'une manière légère, insouciante, qui illumine tout son visage. J'aimerais que ça arrive plus souvent.

Sans pouvoir m'en empêcher, je l'examine et mon cœur s'emballe. Je dois me retenir de passer la main dans le chaos de ses boucles brunes, à l'air si soyeuses. Mon regard glisse sur ses traits réguliers, s'attarde une seconde de trop sur ses lèvres pleines. Enfin mes yeux plongent dans les siens, gris comme le ciel avant l'orage.

Le même gris que son père.

Je recule brusquement. Il fronce les sourcils.

Oui, c'est dingue comme ils se ressemblent. Si les cheveux de Ross étaient blonds et non noirs comme ceux de sa mère, il serait le portrait craché d'Artur Moszkowski. Bien sûr, l'homme des souvenirs du Prof était plus âgé que mon coéquipier, mais l'écart n'est pas frappant.

- Je sais comment nous débarrasser de Thétis, soufflé-je.

Aussitôt, ses traits se durcissent et je regrette d'avoir ouvert la bouche.

- Comment ? Fais pas durer le suspens, Cass.

Mon cœur se serre. Absorbée par mes propres émotions, je n'ai pas pris une seule seconde pour réfléchir à l'effet que mes découvertes auraient sur lui. C'est de ses parents qu'il s'agit. De la mort de son père-un père qu'il n'a jamais connu, mais son père tout de même.

Je ne sais pas comment lui raconter tout cela. Les mots me semblent tous plats comparé au drame que je dois relater.

- Je pourrais te montrer, commencé-je prudemment.

Il fronce les sourcils.

- Tu es sûre d'être prête à revivre ça ? Mon sweat est déjà trempé. Je ne voudrais pas que tu recommences à pleurer.

Malgré l'ironie, je sais que son inquiétude est sincère. Tout comme l'est celle que j'éprouve pour lui.

Il faut qu'il sache. Je le sais. Et pourtant, tout mon corps se rebelle à l'idée de lui infliger plus de coups qu'il n'en a déjà reçus.

- Si tu veux que je m'arrête, affirmé-je, il suffit de me le dire. A n'importe quel moment.

Il esquisse un sourire sans joie.

- T'essaie de me faire peur ?

- Je suis sérieuse, Ross.

- Je sais. C'est ça qui m'effraie.

Pendant quelques secondes, on se regarde en silence. Puis je plonge dans sa tête et, à regret, laisse les images défiler. Ces souvenirs ne sont ni les miens, ni les siens, mais pendant un temps, ils deviennent les nôtres. Je lutte pour ne pas me laisser emporter, pour garder le contrôle tandis que pour la deuxième fois en une heure à peine, je vois Akhilleús naître.

Enfin, tout s'arrête. Nous sommes de retour dans la chambre, nos esprits de nouveau distincts mais nos émotions toujours mêlées : un chaos de colère, de douleur et de doute qu'aucun de nous ne prend la peine de verbaliser.

- Et donc ? se contente de demander Ross. Comment on se débarrasse de Thétis ?

Cass (sf/romance)Where stories live. Discover now