Cass (sf/romance)

Chapitre 5

   L'un des écrans qui tapissent le mur émet un craquement sinistre quand je plaque Tyler contre la paroi, son propre pistolet laser collé sous le menton. La douleur explose dans mon ventre et ma vision se brouille, mais je serre les dents et renforce ma prise sur l'arme. Le jeune homme fait bien vingt ou trente centimètres de plus que moi, ce qui n'empêche pas la peur de briller dans ses yeux.

    - Cass.

    - Donne moi une seule bonne raison de ne pas te tuer.

    - Ecoute, je peux t'expliquer...

    - Pas besoin d'explications, Tyler. J'ai tout compris toute seule. Tu bosses pour eux, tu m'as balancé, et maintenant, tu vas mourir.

    - C'était pas personnel, c'est juste mon travail...

    - Depuis combien de temps ?

    - Quoi ?

    - Depuis combien de temps tu fais partie de l'Organisation ?

    - Six mois.

    - Bien. Six tirs dans ton crâne, donc.

    - Ils m'ont contacté, ils m'ont dit qu'ils avait un poste légal pour moi, tout ça, que je pourrais mettre mes compétences au service de la loi si je les aidais à...

    Il s'arrête tout à coup.

    - Si tu les aidais à m'attraper ?

    - Je devais juste les prévenir si tu me contactais ! Ça faisait plus d'un an qu'on t'avait pas vu sur Zanko 10. Je me suis dit que j'entendrais plus jamais parler de toi, que je pourrais travailler pour eux sans jamais avoir à te dénoncer. C'était la chance de ma vie, Cass.

    Je soupire et le relâche. Il s'éloigne de moi comme un animal apeuré.

    - Voudriez-vous bien cesser d'endommager le matériel, et rendre son arme à l'agent Parke, Mlle Jackson ? me lance Junon.

    A part un regard désapprobateur pour l'écran que j'ai brisé, elle ne semble pas le moins du monde contrariée. Elle n'a pas bougé le petit doigt pendant que je menaçais son agent, et je me demande si elle se fiche complétement de sa vie, ou si elle savait que je n'allais pas réellement lui faire de mal.

    Je n'en veux pas à Tyler, pas vraiment. Plus jeune, j'aurais pu prendre la même décision que lui. Je voulais juste l'effrayer un peu-il mérite au moins ça, pour m'avoir mise dans une situation pareille.

    Je souris au jeune homme-un sourire un peu inquiétant-et lui tend son pistolet. Il le prend avec un air méfiant. Je l'ai traumatisé, le pauvre.

    Malgré moi, je croise le regard de Ross. Les bras noués sur la poitrine, il semble s'ennuyer profondément. Puis il se tourne vers Junon et lui lance :

    - A peine quelques heures ici, et elle a déjà agressé deux personnes. Vous êtes sûre de vouloir l'engager ?

    - Elle est juste à côté de toi, fulminé-je.

    - Silence. Tous les deux, nous arrête Junon.

    Elle me tend une tablette.

    - Votre contrat, Mlle Jackson.

    Je fais défiler sans les lire les trop nombreuses lignes-ce n'est pas comme si je pouvais refuser de signer, de toute manière. Je ne m'arrête que pour les chiffres de mon futur salaire, et un sifflement m'échappe. Je comprends mieux pourquoi Tyler m'a trahie-je ne sais pas combien on gagne en travaillant pour la PI, mais certainement pas autant. Les mystérieux donateurs de l'Organisation doivent être très généreux.

    Je gribouille une signature du bout du doigt, puis appose mon empreinte digitale, avant de rendre la tablette à ma nouvelle patronne. Elle vérifie ce que j'ai fait, hoche la tête.

    - Bienvenue à l'Organisation, agente Jackson.

    - Vous ne me donnez pas un badge ? Ou, je ne sais pas, moi, une casquette avec logo ?

    - J'ai mieux que ça.

    Elle m'offre un pistolet laser. Mes lèvres s'étirent en un large sourire tandis que je le range dans mon holster. Ma satisfaction augmente encore quand je remarque l'air incrédule de mon coéquipier.

    - Vous lui donnez une arme ? Dites-moi que c'est une blague.

    - T'as peur de moi, Ross ?

    - L'agente Jackson fait partie de l'Organisation désormais, agent Ross, intervient Junon.

    Rien que pour énerver un peu plus le jeune homme, je me tourne vers elle, une main sur le cœur.

    - Merci, Junon. C'est un honneur.

    - Oh, oui, et tu ne le mérites pas, grince Ross.

    - Votre première mission, commence la directrice adjointe comme s'il n'avait rien dit, aura lieu sur Zanko 10.

    Je me fige.

    Ces dernières années, je n'ai cessé d'aller et venir, de planète en planète, sans jamais m'arrêter nulle part trop longtemps. Mais avant ça...avant ça, j'ai fait l'erreur de m'installer. De me construire une vie, une routine.

    J'ai passé trois ans à Trekyon, la capitale de Zanko 10. Une ville chaotique, entre gratte-ciel high tech et constructions de fortune, autoroutes aériennes et vieilles voitures à essence, connue pour son taux élevé de criminalité. C'est là que j'ai rencontré Tyler, là que j'ai commencé ma carrière d'escroc.

    Je n'y ai pas mis les pieds depuis deux ans, et jusqu'à présent, je n'avais pas la moindre intention d'y retourner.

    Est-ce pour ça que Junon m'a engagée ? Parce qu'elle veut utiliser ma connaissance de Zanko 10 au profit de l'Organisation ? Un mélange de peur et de colère m'envahit. J'ai de bonnes raisons de ne plus vouloir me rendre là-bas.

    Calme-toi, Cass. Elle a dit Zanko 10, pas Trekyon. En dehors de la capitale personne ne te connaît.

    - Plus précisément, à Trekyon, la capitale.

    Merde.

    D'un geste de la main, Junon fait apparaître une image sur la table holographique. Il s'agit d'une mallette noire, ornée d'un logo blanc-un "M" et un "L" entremêlés.

    - Je suppose que vous avez entendu parler de MétaLab.

    - Les médocs, confirmé-je.

    - C'est l'une des firmes transgalactiques les plus importantes de l'univers, détaille Ross. Elle domine l'industrie pharmaceutique interplanétaire depuis plusieurs années.

    - MétaLab n'est pas seulement une grande entreprise, approuve Junon. La santé de milliards et de milliards de personnes reposent entre leurs mains. Si MétaLab venait à s'effondrer, les conséquences seraient catastrophiques.

    - D'accord, mais qu'est-ce qu'on vient faire dans cette histoire, exactement ?

    - J'y viens. Comme vous le savez sans doute, le siège de MétaLab se trouve sur Zanko 10. Agent Parke ?

    Tyler pianote sur un des écrans, et un plan géant de Trekyon s'affiche sur le mur de droite. L'un des gratte-ciel du centre est entouré en rouge.

    - Des médicaments encore en phase de test ont été dérobés, poursuit Junon en désignant la mallette qui flotte au-dessus de la table. Votre rôle à tous les deux, assistés par l'agent Parke, sera de les récupérer avant qu'ils ne soient revendus.

    - Attendez, la coupé-je. Tyler vient avec nous ?

    - Deux agents de terrain, et un qui les guide depuis notre base sur place, confirme la directrice adjointe. C'est généralement comme ça que nous opérons. Votre connaissance des lieux, à l'agent Parke et vous, nous sera fort utile.

    Je récapitule mentalement. Je vais me rendre dans une ville où je m'étais jurée de ne plus poser un orteil, avec un coéquipier qui m'a abandonnée et trahie, et un autre qui a essayé de me tuer. Oh, et tout ça alors que j'ai un trou dans le ventre et que chaque pas est douloureux.

    Que demander de plus ?