Chapitre 29

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Ne panique pas. C'est ce que je me répète en boucle depuis que j'ai fui le Prof et notre appartement, quatre jours plus tôt. Comme une formule magique.

Jusqu'ici, ça ne m'a servi à rien. Ça ne m'a pas tenu chaud quand je me suis retrouvée à dormir sous un pont dans une ville inconnue. Ça ne m'a pas nourrie quand je suis venu à bout de mes trop maigres provisions. Ça ne m'a pas empêché de pleurer toutes les larmes de mon corps.

Je serre des mains tremblantes sur ma bière. C'est la première que je bois et je déteste ça. Je pensais que ça me ferait paraître plus âgée. Pour l'instant, ça me donne juste envie de vomir, et j'ai toujours l'air de ce que je suis : une gamine de quatorze ans terrifiée et seule.

Je jette un coup d'œil autour de moi. La Taverne de Neptune est remplie de criminels. C'est pour ça que je suis venue, bien sûr. Dans l'espoir que l'un d'eux m'engage. Mais à présent que je sens leur regard sur moi, je me demande comment j'ai pu penser que c'était une bonne idée. Qui suis-je pour eux ? Une étrangère ? Une menace ? Une proie ? Pas une collègue, en tout cas.

Une femme prend place en face de moi. Je retiens un sursaut. Je ne l'ai pas entendu arriver. Un large sourire étire ses lèvres, cependant, et m'empêche d'avoir peur de ses yeux de chat.

- Vywyan Kat, se présente-t-elle en poussant vers moi une tasse de chocolat chaud fumante.

C'est le premier visage sympathique que je rencontre en quatre jours, et je manque de pleurer de soulagement. Je voudrais me jeter dans ses bras. Je voudrais qu'elle me dise que le cauchemar est fini, que tout va bien se passer, et je voudrais pouvoir y croire. Je me contente de repousser ma bière, et de m'emparer avidement de mon nouveau breuvage.

- Comment tu t'appelles ?

- Cass Jackson, réponds-je aussitôt.

Prononcer mon patronyme-celui du Prof-me fait l'effet d'une douche froide. Soudain, je réalise que je ne peux pas faire confiance à cette femme, peu importe combien de chocolats chauds elle m'offre. Je ne sais pas qui elle est, et même si c'était le cas...les gens que l'on croit connaître sont souvent ceux dont on devrait le plus se méfier. Je l'ai appris à mes dépens. Imperceptiblement, je me recule dans mon siège, redresse les épaules.

Je ne suis peut-être qu'une gamine terrifiée, mais personne n'a besoin de le savoir.

J'ouvre les yeux, et mets quelques secondes à réaliser que la Vywyan qui se tient face à moi est bien réelle.

- Cass, souffle-t-elle.

Son soulagement est perceptible, bien que mon esprit brumeux n'en comprenne pas la raison. Je me redresse, et le monde tangue autour de moi.

- Doucement ! me réprimande-t-elle.

Ses doigts se referment sur mes bras, à la fois fermes et délicats.

- Je ne bouge pas, promets-je tandis que, lentement, ma vision se stabilise.

Elle me jette un regard sévère, puis commence à empiler des oreillers dans mon dos.

Je suis allongée sur un lit étroit dans une chambre minuscule. A en juger par les murs métalliques, je me trouve à bord d'un vaisseau.

Me voyant examiner la pièce, la zoonite me jette un regard d'excuse.

- On t'a laissé celle avec un hublot. On ne pouvait pas faire mieux.

- Je ne suis pas claustrophobe, protesté-je sans conviction.

- Pas la peine de mentir, tu peux juste dire merci.

Je me sens trop fatiguée pour répliquer : j'ai l'impression d'avoir du coton dans la tête. J'essaie de me rappeler comment je suis arrivée là ; lentement, les souvenirs reviennent. La course poursuite. Le vaisseau. Ross qui me demande si je vais bien, et l'obscurité qui me gagne.

Je relève doucement le tissu de mon t-shirt. Un épais bandage blanc m'entoure le ventre.

Je m'en rappelle, maintenant. J'ai sauté par la fenêtre pour attraper la corde et un bout de verre s'est enfoncée dans ma hanche. L'adrénaline a dû bloquer la douleur et m'empêcher de réaliser la gravité de ma blessure.

- Tu as perdu beaucoup de sang, confirme Vywyan. J'ai dû te recoudre. Ross était paniqué. Tyler et moi avons presque dû le tirer de force hors de ta chambre.

Ross. Une vague d'inquiétude m'envahit tout un coup.

- Il va bien ?

- Oui, il va bien.

Elle achève sa phrase par haussement de sourcil.

- Quoi ?

- Il y a moins de deux semaines, vous étiez à deux doigts de vous étriper. Et là, il a complétement perdu ses moyens parce que tu étais en danger, et toi tu me demandes de ses nouvelles. Qu'est-ce qui s'est passé ?

- Je t'ai dit que notre relation s'était améliorée.

- Améliorée à quel point ?

Le sous-entendu me fait serrer les dents. Surtout que je ne suis pas sure de connaître la réponse moi-même.

- On est amis. C'est tout.

- Je vois, répond sèchement Vywyan.

Je réalise aussitôt mon erreur.

Des amies. C'est ce qu'elle a toujours voulu qu'on soit, toutes les deux, et ce que j'ai toujours refusé. 

Je lui dois tout. Elle a été là pour moi quand je n'avais personne, elle m'a accueillie chez elle même après que je l'ai abandonnée. Et pourtant...je ne lui ai jamais accordé ma confiance, alors qu'elle était sans doute l'une des seules personnes dans ma vie qui la méritait.

Elle fronce les sourcils.

- Cass ? Est-ce que...tu pleures ?

Oui. Je pleure. Le chaos de ces derniers jours me revient en pleine face, déferle sur moi d'un coup. De nouveau, Rémond m'embrasse, et je pense que c'est Ross. De nouveau, je fais face aux enfants dans le dortoir. De nouveau, je tue le gardien.

Je ne suis pas quelqu'un de bien. Je le sais. J'ai trop de colère et trop de pouvoir pour ça. Mais Vywyan...elle mérite de savoir qui elle considère comme son amie. De savoir à quel point je suis brisée, tordue et violente, et pourquoi.

Surtout, elle mérite de savoir à quel point je tiens à elle.

Alors je lui dis tout. Les larmes coulent et les mots débordent tandis que je lui parle d'Akhilleús, du Prof et de mes cauchemars.

Enfin, je me tais. Je la fixe. Ses yeux brillent. Sans un mot, elle me prend dans ses bras.

Je viens de lui confier les pires moments de mon existence. Et je ne me suis jamais sentie aussi légère.

Cass (sf/romance)Where stories live. Discover now