Chapitre 28

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Je jette un coup d'œil par-dessus mon épaule. Cinq voitures nous suivent, avec chacune à son bord deux ou trois gardiens en uniforme : l'un qui conduit, les autres qui nous mitraillent à travers les vitres baissées.

J'écrase l'accélérateur et slalome entre les voitures. Les pneus crissent sur le bitume à chaque coup de volant, et un concert de klaxons s'élève dans notre sillage.

Un poste radio est intégré dans le panneau de bord. Cette technologie a beau être obsolète depuis plusieurs siècles, il existe encore des stations amateures, gérées par des bénévoles en mal de hobby. Je presse le bouton et une guitare électrique se déchaîne dans les enceintes.

- Qu'est-ce que tu fiches ?! me hurle Ross.

La vitre sur ma gauche explose.

- Quitte à mourir, je préfère le faire en musique !

Le visage de mon coéquipier se durcit. J'ai l'habitude de le voir impassible, mais cette fois-ci, c'est plus que ça. Il parait...impitoyable. Je connais cette expression.

Il arborait la même, dans cette ruelle au début de notre mission. Quand il était prêt à torturer ce zoonite pour obtenir des réponses.

- Tu ne mourras pas aujourd'hui, Cass.

Les tous premiers mots qu'il m'a dits. Répétés comme une promesse.

Il remonte les manches de son sweat, le canon de deux pistolets laser percent la peau tendre du creux de ses coudes.

- Ne fais pas ça, lui lancé-je avant de pouvoir me retenir.

Je sais que c'est la meilleure décision possible, la plus rationnelle, celle qui nous sauvera la vie. Mais j'ai peur pour lui. Peur qu'il se perde dans la violence comme je suis en train de le faire avec ma télépathie.

Il baisse la vitre. Son visage se ferme encore un peu plus, et en cet instant, il ressemble vraiment à un robot. A une arme.

Ne fais pas ça, répété-je dans sa tête.

Ne sois pas bête, Jackson. Je n'ai pas le choix.

Bien sûr que si.

Je ne te laisserais pas mourir.

Je ne te laisserais pas te sacrifier pour moi !

Tu ne peux pas m'en empêcher.

Et il commence à tirer. J'esquive deux voitures et une moto semi-aérienne, puis jette un coup d'œil par-dessus mon épaule. L'un de nos poursuivants part dans le décor, emportant avec lui cinq autres véhicules malchanceux.

- Et un de moins, marmonne Ross.

C'est alors qu'une ombre immense s'abat sur nous. Je passe brièvement la tête par la vitre brisée. Un vaisseau plane juste au-dessus de notre voiture, à seulement trois ou quatre mètres du sol. C'est parfaitement illégal, d'autant plus qu'il s'agit d'un imposant transporteur commercial, conçu pour le voyage intergalactique. Quatre immenses pommes de terre sont peintes sur son flanc, accompagnées d'un slogan accrocheur : "Patatas : les meilleures frites de l'Univers".

Peut-être que j'ai perdu le contrôle du véhicule. Peut-être que je suis dans le coma et que tout ça n'est qu'une espèce de rêve tordu.

Je suis à deux doigts de me pincer quand la porte du vaisseau coulisse. Tyler apparait dans l'encadrement, les cheveux en bataille, les lunettes de travers, et une épaisse corde à la main.

- Cass ! me crie-t-il. Attrape !

Ross. Toi d'abord.

Certainement pas.

C'est moi qui conduis. Ne discute pas.

Il me semble l'entendre grogner par-dessous les hurlements des enceintes, mais il finit par faire disparaître ses mitraillettes. Après m'avoir jeté un dernier regard noir, il se glisse par la fenêtre et agrippe la corde. Je retiens mon souffle tout au long de son ascension. Je ne pense plus aux véhicules que j'évite à toute allure, ni aux lasers qui me frôlent le crâne : seulement à la possibilité qu'il glisse, qu'il chute, que je le perde. Mais il finit par rejoindre le hacker, sain et sauf.

A toi, me lance-t-il. Meurs et je te tue.

C'est maintenant ou jamais. Je croise les doigts dans ma tête, lâche le volant et me jette par la fenêtre. Un bout de verre s'enfonce dans ma hanche. Mes doigts se referme sur la corde juste avant que la voiture n'en heurte une autre. Violemment arrachée au véhicule, je me retrouve à me balancer dans le vide.

L'adrénaline hurle dans mes veines et décuple mes forces. Centimètre après centimètre, je me hisse vers le vaisseau. Mon coéquipier s'empare de la corde et la ramène à lui, accélérant mon ascension. Les tirs pleuvent autour de moi.

Plus que deux mètres. Plus qu'un.

Mon regard croise celui de Ross. Mes yeux sont plongés dans les siens et je les vois s'écarquiller quand la corde se rompt, coupée nette par un laser. Je tombe.

Cet imbécile se jette dans le vide comme si ça pouvait me sauver. Ses bras se referment sur moi et on dégringole tous les deux vers la route.

- Vywyan ! hurle Tyler. Attrape-les !

Le vaisseau plonge à notre suite. Son flanc grand ouvert nous avale, puis l'engin se redresse brusquement, à quelques centimètres des voitures affolées.

La porte se referme. Ross et moi sommes tous deux à l'intérieur. Il est assis sur le sol en métal, et je ne sais pas comment je suis arrivée là, mais je suis affalée contre sa poitrine, mes cuisses sur les siennes et ses bras autour de moi. La chaleur de son corps me fait comme un cocon.

- Jackson ? Jackson, tu vas bien ? Dis-moi que ce n'est pas ton sang.

Je perçois la panique dans sa voix-lointaine, étouffée. Le monde autour de moi tourne, de plus en plus flou. J'essaie d'ouvrir la bouche, de dire que oui, je vais bien. Trop tard : je sombre déjà dans l'obscurité.

Cass (sf/romance)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant