Chapitre 2

433 45 40
                                    

   C'est la souffrance qui me ramène à moi.   Chaque muscle de mon corps me fait mal ; j'ai un goût métallique sur la langue. Une douleur sourde pulse dans mon crâne, derrière mes yeux, et surtout, j'ai l'impression d'avoir une barre de métal enfoncée dans le ventre. Une barre qui tourne, tourne, et brûle.

    Concentre-toi, Cass.

    Je me redresse. J'essaie de comprendre où je suis tandis que les souvenirs déferlent, pêle-mêle : le cambriolage, Tyler qui m'abandonne, les vigiles, la salle de travail, mon agonie et ce type qui débarque et m'emporte.

    Je suis allongée dans un lit d'hôpital, menottée au montant. Une perfusion est plantée dans mon bras, et quand je passe la main sur la fine tunique bleue qu'on m'a enfilée, je sens la bosse d'un bandage. La chambre est petite, spartiate : les murs sont en métal, le sol aussi, et il n'y a qu'une étroite fenêtre, à travers laquelle j'aperçois une traînée d'étoiles et la silhouette d'un satellite. Je suis sur un vaisseau. Toujours le siège du CSM ? Non, peu probable.

    A part mon lit, le seul mobilier consiste en une unique chaise. Une femme y est assise et me fixe d'un regard sévère. Pas une gentille infirmière, non : elle porte un uniforme noir, la coupe est militaire, un holster est fixé à sa ceinture. Ses boucles grises sont tirées en arrière, en un chignon si serré que sa vue suffit à augmenter mon mal de tête. Sa peau noire est creusée de rides, et je lui donne soixante, soixante-dix ans au moins. Elle est petite, encore plus que moi, et elle parait frêle ; pourtant sa présence a quelque chose d'écrasant.

    - Mlle Jackson, me salue-t-elle.

    Sa voix est froide, aussi froide et stérile que la pièce, et surtout, ses paroles m'en rappellent d'autres.

    - Tu ne mourras pas aujourd'hui, Cass.

    Il connaissait mon nom. L'homme qui m'a tiré dessus connaissait mon nom. Mon cœur s'affole, un filet de sueur  coule le long de mon dos.

    Qui sont ces gens ? Je ne reconnais pas l'uniforme de la femme. Pourquoi me pourchassent-ils ?

    Calme-toi, Cass. Ce sont sans doute juste des flics. Il ne savent pas d'où tu viens.

    - Mlle Jackson, arrêtez-ça tout de suite.

    Son ton autoritaire m'arrache à mes pensées, et je hausse un sourcil ironique.

    - Quoi donc ? Respirer ?

    - Crocheter vos menottes.

    Je lâche un grognement contrarié et me sépare, à regret, de l'aiguille de ma perfusion, que j'ai arrachée à mes veines pour la glisser dans la serrure.

    - Vous devriez remettre cette chose dans votre bras. Vous en avez besoin.

    Elle a peut-être raison. Peut-être qu'il n'y a rien de néfaste dans le liquide laiteux suspendu au-dessus de ma tête. Pourtant, je n'envisage pas un seul instant de m'exécuter. Peu importe si j'en meurs, je ne laisserai personne m'injecter quoi que ce soit dans les veines.

    Plus jamais.

    - Ce dont j'ai besoin, lancé-je d'un ton léger, c'est beaucoup d'argent et quelques explications. Vous êtes qui ?

    - La question, Mlle, n'est pas de savoir qui je suis mais qui vous êtes.

    - Mmm. Pas besoin d'éclaircissement là-dessus de mon côté.

    Elle m'ignore, se lève, et sort un dossier couleur crème de je-ne-sais-où. Elle s'approche de mon lit et commence à étaler une série de photos sur la couverture. Des clichés volés par des caméras de surveillance. Je reconnais chacune des filles qui y figurent, et je sens un sourire étirer mes lèvres. Pas les mêmes cheveux, pas les mêmes vêtements, pas les mêmes personnes. Et pourtant...un seul visage.

    Le mien.

    - Cassiopée O'Connor. Recherchée par la police intergalactique pour escroquerie et tricherie à un jeu d'argent...pardon, plusieurs jeux. Cassendre Dumoulin, femme de chambre au célèbre Hôtel du Cygne Rouge, également recherchée par la PI, pour tentative de vol avec effraction dans la chambre de l'ambassadeur de Pluton 7. Cassiana Licci, secrétaire du vice-président d'Astero-Trex, coupable d'espionnage et de divulgation de documents confidentiels, contre rémunération.

    - Une rémunération bien trop faible par rapport au travail fourni. La pauvre Cassie a perdu son temps.

    - Pas la peine que je continue, je présume, poursuit mon interlocutrice en ignorant mon intervention. Vous connaissez ces personnes.

    Elle désigne de la main les photos alignées sur mes genoux. Elle a pris soin de les orienter face à moi, pour que je puisse bien les voir.

    - Une dizaine de femmes, une dizaine de crimes, mais une seule méthode : la votre. Vous vous faites passer pour quelqu'un d'autre. Vous créez un personnage, des faux documents, un faux passé, vous entrez dans la vie de vos victimes et gagnez leur confiance, puis vous frappez. Une escroquerie montée comme une pièce de théâtre, et avec virtuosité.

    - Si vous vouliez me faire des compliments, vous auriez pu m'envoyer un mail. Pas besoin de me kidnapper.

    - Ce n'est pas un kidnapping, Mlle Jackson, c'est une arrestation.

    - Vous êtes de la PI ?

    Intérieurement, je grince des dents. Je me suis toujours moquée de ces amateurs incompétents, et voilà qu'ils m'arrêtent. Coup dur pour mon ego.

    Mais je me trompe. La femme n'est pas de la police intergalactique, et au vu du ricanement qui lui échappe, elle ne les estime pas beaucoup plus que moi.

     - Je suis la directrice adjointe de l'Organisation.

    -  Un nom bien vague pour faire flipper les gens. Je tremble.

    Derrière la moquerie, je suis intriguée. Je connais toutes les agences de maintien de l'ordre de l'univers-un de mes hobbys consiste  à comparer les différentes récompenses mises sur ma tête-et je n'ai jamais entendu parler d'une quelconque "Organisation".

    - Notre objectif, Mlle Jackson, n'est pas de "faire flipper les gens", mais de les protéger des criminels dans votre genre.

    - Ouch. Ça fait mal.

    - Il serait peut-être temps que vous preniez mes propos au sérieux.

    - Désolée, le sérieux, c'est pas mon truc.

    - Tenez-vous à votre liberté, Mlle Jackson ?

    Nous y voilà. Les menaces. Je sens la peur me gagner, lentement, sournoisement. Je fanfaronne, mais je suis en mauvaise posture, et je le sais. Je risque de passer le reste de ma vie dans un vaisseau-prison ultra sécurisé. Dans mon esprit, je m'y vois déjà : la pièce sombre, les murs étroits. Je sens les parois qui se rapprochent, m'étouffent, je sens l'angoisse monter dans mon ventre et l'air se bloquer dans ma gorge.

    Je ne survivrai pas à l'enfermement, je le sais. Dès que la porte se refermera sur moi, les souvenirs déferleront et je deviendrai dingue.

    - Plutôt, oui.

    J'espère que la directrice n'entend pas ma voix trembler.

    - Tant mieux. Vous avez le choix. Soit vous allez en prison, et poursuivez votre courte existence entre quatre murs...

    - Je passe mon tour.

    - ...soit vous travaillez pour moi.

    Est-ce qu'elle plaisante ? Ça n'a pas l'air d'être son genre.

    - Protéger les gens des criminels, tout ça, c'est pas trop mon domaine.

- La mission que je veux vous confier correspond tout à fait à votre domaine.

    - Eh bien, dans ce cas...

    Je souris. Comme si j'avais le choix.

    - ...vous me payez combien ?

Cass (sf/romance)حيث تعيش القصص. اكتشف الآن