Chapitre 12

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Trois coups résonnent soudain à la porte. Je me raidis et m'écarte de Vywyan. L'adrénaline envahit mes veines, ma main glisse vers mon pistolet. Mon regard croise celui de Ross et peu importe à quel point on se déteste, je sais qu'en cet instant, on se pose la même question : est-ce un agent de l'Organisation qui nous attend derrière la porte ? Nous ont-ils déjà retrouvés ?

- Vywyan ? Vywyan, c'est Tyler.

Les yeux de la voyante s'écarquillent. Elle s'avance pour ouvrir au hacker, mais je la retiens par le bras.

- Ross, Cass, si vous m'entendez, je suis dans votre camp, d'accord ? J'ai détourné le signal de vos trackers jusqu'à présent, mais il faut que vous les retiriez au plus vite. Je peux vous aider, laissez-moi entrer.

Évidemment, le jeune homme n'a eu aucun mal à deviner où nous étions. Il connaît Vywyan, il sait qu'elle est ce que j'ai de plus proche d'une amie sur cette planète. Veut-il vraiment nous aider ? Ou bien est-il venu accompagné d'un escadron de l'Organisation, prêt à nous arrêter pour notre désertion ? Je me penche vers Vywyan.

- Va voir, chuchoté-je. Ne lui ouvre que s'il est seul.

Elle me fixe de ses yeux jaunes, et pendant un instant je crois qu'elle va refuser-après tout, nous ne sommes pas dans les meilleurs termes, elle et moi-mais elle finit par hocher la tête. Mon cœur pique un sprint dans ma poitrine. J'échange un nouveau regard avec Ross, et nous pointons tous deux le canon de nos armes vers l'entrée.

Mais quelques secondes plus tard, Tyler pénètre dans l'appartement. Il est seul, et si l'on excepte son sac à dos-qui paraît assez lourd pour assommer quelqu'un-il n'est pas armé. Il pâlit et se fige en apercevant nos pistolets rivés sur lui.

- Mais c'est pas vrai, nous réprimande Vywyan. Calmez-vous, tous les deux.

Je lève les yeux au ciel et range mon arme.

- Qu'est-ce que tu fais là, Tyler ?

- Je l'ai déjà dit, je veux vous aider.

Le jeune homme ne peut s'empêcher de fixer ma veste, et la bosse qu'y forme mon holster. S'il savait que j'en ai deux autres dans le dos, je crois qu'il tomberait dans les pommes.

- Pourquoi ?

- Qu'est-ce que tu voudrais que je fasse ? Je vais pas rentrer au QG pour annoncer à Junon que vous êtes tous les deux en roue libre sur Zanko 10.

Ross hausse un sourcil ironique.

- Tu te crois responsable de nous, Parke ?

- Ecoutez, je me sens coupable, d'accord ? Je t'ai trahie, Jackson, et j'essaie de me racheter. Même si je ne comprends pas trop votre délire d'arrachage d'oreillettes.

- Elle ne le mérite vraiment pas, Ty, intervient Vywyan. Mais pour ce que ça vaut, moi, je suis contente de te revoir.

Je la fusille du regard. Elle m'ignore et se tourne vers mon coéquipier.

- Il serait peut-être temps que tu me présentes officiellement ton ami, Cass.

- Je m'appelle Ross, annonce froidement le robot. Et je ne suis pas son ami.

- Oh ? Petit copain, alors ?

La même grimace dégoûtée nous échappe.

- Ils sont collègues, intervient Tyler. Et on doit vraiment s'occuper de ces trackers, de toute urgence. Il me faut une bassine d'eau chaude.

- Vous avez intérêt à m'expliquer ce qu'il se passe, peste la voyante tout en s'élançant vers la cuisine.

- Une bassine d'eau chaude ? demandé-je. Pour quoi faire ?

- Les trackers qu'on vous a implantés sont conçus pour détecter les refroidissements brutaux. Si vous les extrayez, le contraste entre votre chaleur corporelle et la fraîcheur de l'air extérieur les fera exploser. Mais si vous avez le bras plongé dans de l'eau à environ 37°C, la température de votre corps...

Vywyan revient avec la bassine avant la fin de ses explications. Peu importe, j'ai saisi l'idée. Un détail me gêne, cependant, un détail que j'aurais dû relever bien avant. Je me tourne vers Ross.

- Les trackers, hein ? Tu en as un aussi ?

- Désolée, Jackson. Tu n'es pas aussi exceptionnelle que tu le crois. Tous les agents en ont.

- Bonjour la confiance...marmonné-je.

- Tu es mal placée pour parler de confiance ! s'indigne Vywyan.

- C'est plus pour nous protéger que pour nous empêcher de fuir, explique Tyler, l'air un peu gêné. Si on est blessé, ou inconscient, ils peuvent nous retrouver, où qu'on soit.

- Si t'arrives à t'en convaincre, réponds-je d'un ton moqueur, tant mieux pour toi.

Il rougit et essaie de le cacher en fouillant dans son sac à dos. Il en sort un scalpel, ainsi qu'un thermomètre. Il s'empresse de plonger ce dernier dans dans la bassine, mais je n'y prête pas attention. Mon regard est aimanté par la fine lame métallique.

Je n'ai pas peur des couteaux, ou du sang, ou de la douleur. Je n'ai même pas peur de la mort. Mais cet objet est différent. Il est chirurgical.

J'ai cinq ans. Je suis attachée sur la table d'opération. La femme aux cheveux noirs et aux lèvres rouges se penche au-dessus de moi. Tout mon corps se crispe, attendant les électrodes, puis la douleur. Mais rien ne vient, rien que des mots vénéneux qui glissent hors de sa bouche avec la douceur du miel.

- Aujourd'hui, 55, les choses vont être un peu différentes. Il faut qu'on aille voir si tout ce qu'on t'a injecté a agi, tu vois ? Il faut qu'on aille regarder dans ton cerveau.

Je ne comprends pas. Je ne veux pas comprendre. Puis j'entends un léger vrombissement. Je ne réalise pas qu'il provient d'une tondeuse, avant qu'ils ne commencent à me raser la tête.

Je voudrais supplier, mais ils m'ont coincé un morceau de caoutchouc entre les dents. Alors je pleure en silence tandis que mes mèches tombent, tandis que leurs scalpels s'enfoncent dans mon crâne et que la douleur explose.

- A toi l'honneur, Cass.

Je fixe Tyler sans comprendre, luttant pour chasser les souvenirs, pour tenir debout.

- Jackson ?

Je me centre sur la voix grave de Ross, sur son ton froid et insupportable. Elle me ramène au présent. Tyler attend à côté de la bassine.

- Vite, me lance-t-il. Avant que ça refroidisse.

Je me ressaisis, retire ma veste et plonge mon avant-bras dans l'eau. Les mains du hacker tremblent. Il semble encore plus effrayé que moi par l'idée de m'extraire ce tracker, le pauvre. Je lui arrache le scalpel et l'enfonce moi-même dans ma chair, sans ménagement. L'eau se teinte de rouge ; j'accueille la souffrance comme une amie.

Peu importe si j'ai mal puisque c'est moi qui me fait mal. Cela ne prouve qu'une chose : je suis maîtresse de mon corps. Personne ne peut m'attacher à une table d'opération, me découper à l'envie, me polluer les veines avec je ne sais quel produit.

Plus jamais.

Je glisse deux doigts dans l'incision, la douleur me coupe le souffle et ma vision se brouille, mais je ne m'arrête pas. Je rencontre un objet dur et l'extrais avec un grognement, puis je m'écarte de la bassine et tend la lame à Ross.

- A ton tour, coéquipier. Si tu préfères, je peux m'en occuper.

Je souris et ajoute :

- Je toucherais peut-être une artère au passage.

Cass (sf/romance)Where stories live. Discover now