Chapitre 30

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Vywyan et moi restons dans les bras l'une de l'autre jusqu'à ce que mes larmes se tarissent. J'inspire son odeur à plein poumons-un mélange familier de thé à la menthe et de shampoing à la noix de coco.

La porte s'ouvre à la volée, et Tyler entre. Il se fige sur le seuil.

- Désolé...je peux revenir plus tard, si je dérange...

On se détache l'une de l'autre, et son malaise augmente encore face à mes yeux rougis. Je les essuie le plus discrètement possible. Je remarque alors ce que le hacker a apporté avec lui.

- Mon sac ! Donne !

- Ce qu'elle veut dire, corrige la zoonite, c'est : non, Ty, reste, je t'en prie.

- Ce que je veux dire, la contredis-je, c'est : donne-moi mon sac, Tyler.

Le jeune garçon me le tend avec un sourire gêné. Je m'en empare avidement et pousse un soupir de soulagement en constatant que ma tablette y est toujours.

- J'ai déjà fait plusieurs sauvegardes des données que vous avez réussi à récupérer.

Je fixe le hacker. En apparence, c'est le même ado débraillé que j'ai rencontré trois ans plus tôt. Mais il a parfaitement géré la panne de courant, à MétaLab. Bien sûr, rien ne s'est passé comme prévu, mais pour une fois, ce n'était pas de sa faute. Il s'est amélioré.

- Tu nous as sauvés, lui jeté-je en guise de remerciements.

Il rougit jusqu'à la racine des cheveux.

- J'ai appris pas mal de trucs, marmonne-t-il. Avec l'Organisation.

- Et encore, intervient Vywyan en se tournant vers moi, tu ne sais pas tout. C'est grâce à lui qu'on vous a récupérés avec le vaisseau. Il a vu que vous aviez des ennuis sur les caméras de surveillance et vous a géolocalisés pour qu'on vienne vous chercher.

- J'ai pas tout fait tout seul, proteste l'intéressé. C'est Wy qui a piloté.

- D'où il sort, ce vaisseau, d'ailleurs ?

- C'est le premier qu'on a pu voler qui soit équipé pour le voyage intergalactique, explique la voyante.

- Il y a des frites dans la cale ?

- Et pas qu'un peu, sourit-elle.

- On a entré les coordonnées du QG de l'Organisation dans le pilote automatique, m'informe Tyler.

J'approuve d'un hochement de tête. Mon regard revient à la tablette. Mon ventre se noue, entre impatience et fébrilité. Cette fine plaque de verre est la clé de ma vengeance, la clé pour sauver les enfants.

- Vous avez consulté les données ? m'enquiers-je.

Tous deux secouent la tête.

- Je les ai seulement sauvegardées, ajoute le hacker.

J'ouvre la bouche. La referme. Vywyan devine aussitôt ce que je ne sais comment demander.

- On te laisse.

Mes yeux expriment toute la gratitude que je ne formule pas. Enfin seule, je prends une grande inspiration et allume l'appareil.

Il y a deux dossiers : "robotisé" et "cognition augmentée". Un pour chaque branche du programme. J'hésite un instant, clique sur le premier.

Les fichiers ne sont pas nommés mais numérotés, de un à cinquante-cinq. Un pour chaque victime. Je regarde la date, et mon cœur sombre dans ma poitrine. Je me retiens de justesse de jeter la tablette contre le mur. Ces documents sont trop vieux : ils ne peuvent provenir que d' Akhilleús 1.

On ne fera pas tomber MétaLab avec ça. Il nous faut des données plus récentes, une preuve que les expériences ont continué après la fermeture du premier programme. Un par un, j'ouvre tout de même les fichiers.

Des photos. Des descriptions d'expérience, toutes plus affreuses les unes que les autres. Et...des noms. Celui des enfants, de leurs parents.

Je réalise soudain que l'un de ces rapports est le mien. Il me suffirait d'un clic pour découvrir qui je suis vraiment. J'ouvre le second dossier, fait défiler les documents jusqu'au cinquante-cinquième. Mon doigt s'arrête à quelques millimètres de l'écran. Je suis paralysée.

Un nom. Une famille. Bon sang, et si mes parents étaient encore en vie ?

Non. Ce n'est sans doute pas le cas. Et même si ça l'était...je suis une étrangère pour eux. L'enfant qu'ils ont perdue n'existe plus. Un monstre l'a remplacée, avide de vengeance et forte d'un pouvoir meurtrier.

J'éloigne mon doigt. Je ne veux pas savoir. Sans me laisser le temps d'hésiter plus longtemps, je fais glisser le fichier vers la corbeille.

Je réalise alors qu'il y a un autre document dont je connais le propriétaire. Malgré moi, je retourne dans le dossier "robotisé" et clique sur le numéro 55. Je m'immisce dans sa vie privée et je le sais, mais je ne peux pas m'en empêcher.

La première chose sur laquelle je m'attarde, c'est la photo. Comme tous les autres enfants, il est pâle, et famélique. Ses boucles noires sont grasses et ternes ; des cernes profonds creusent son visage. Il doit avoir quatre ou cinq ans, pas plus. Son expression n'a rien à voir avec le masque impassible du jeune homme que je connais. Non, la peur brille dans ses yeux gris et imprègne chacun de ses traits.

La rage me coupe le souffle. Bien sûr, les autres fichiers étaient terribles, mais celui-ci...c'est celui de Ross. Et penser au mal qu'on lui a fait me donne envie de retourner sur Zanko 10 et d'aller étrangler Thétis sans attendre.

Je parcours des yeux les premières descriptions d'expérience. La nausée m'envahit, mais une curiosité malsaine me force à continuer. Une par une, je découvre les horreurs qu'il a subies. C'est pire que tout ce que j'imaginais. Pire que ce qu'on m'a fait, à moi. Ma colère décuple à chaque mot. Je finis par arriver au petit encadré qui concerne son passé et sa famille.

Je mets quelques secondes à comprendre. A réaliser ce que cela implique.

Son père n'est pas mentionné. Il n'y a que son nom à lui, et celui de sa mère.

Thétis Grazziano.

Cass (sf/romance)Where stories live. Discover now