Chapitre 4

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   J'aurais aimé retrouver mes propres vêtements, mais Junon a préféré me donner un uniforme noir identique au sien. Evidemment, il est trop grand. Je serre la ceinture au maximum, pour empêcher mon pantalon de me tomber sur les cuisses. Les chaussures, au moins, sont à ma taille. L'épaisse semelle me fait prendre quelques centimètres, et sera idéale si je décide de donner un coup de pied à quelqu'un-mon coéquipier, par exemple.  J'ai également un holster, que je fixe sur ma hanche, mais pas d'arme à y ranger.

    J'attache mes cheveux en une queue de cheval serrée, puis jette un nouveau coup d'œil dans le miroir. J'ai l'air d'une petite fille déguisée, le noir de mes vêtements fait ressortir ma pâleur maladive. Je carre les épaules, fusille mon reflet du regard ; c'est déjà mieux.

    - Enfin, m'accueille Ross quand je sors de la salle de bain.

    - Pourquoi mon holster est vide ? lui réponds-je.

    - Non, pas la peine de me remercier, c'était un plaisir de t'attendre...

    - Eh bien, si ça fait plaisir à l'un de nous deux, c'est déjà ça. Pourquoi mon hol...

    - Parce que tu es une criminelle et que personne ici n'est assez stupide pour te donner une arme.

    - Pourquoi me donner un holster si vous ne me donnez pas d'arme ?

    - Tu n'en as jamais marre de parler ?

    - Tu n'en as jamais marre d'exister ?

    Il grogne et sort de la chambre sans un mot de plus. Je le suis en levant les yeux au ciel.

    Comme sur presque tous les vaisseaux, les couloirs sont en métal, éclairés par des néons agressifs. Des hublots ronds s'alignent sur le mur de droite, disposés à intervalle régulier ; à travers, on aperçoit un tourbillon d'étoiles, de satellites, de petites navettes et de planètes lointaines, tout ça sur un fond d'obscurité infinie.  Je m'en approche malgré moi, et Ross me rappelle brusquement :

    - Dépêche-toi, Junon nous attend.

    - Je ne suis pas ton chien.

    - Je préfèrerais un chien qu'une coéquipière.

    - Ça m'étonne pas. Tu as l'air d'adorer donner des ordres.

    Il ne répond pas, trop occupé à m'examiner de la tête aux pieds.

    - Pourquoi tu me regardes comme ça ?

    - J'essaie de comprendre.

    - Le sens de ta vie ? C'est pas dans cette direction.

    Il me fusille de son regard gris. Son ton est sec, mélange de sarcasme et d'agressivité, mais son visage reste froid, impassible. Visiblement, il me déteste.

    Tant mieux. C'est réciproque.

    - Ce que j'essaie de comprendre, c'est pourquoi Junon a voulu t'engager. Sérieusement, tu as quel âge ? Quatorze ans ?

    Je me retiens de le frapper à nouveau. 

    Au fond de moi, je dois admettre que je me pose la même question. Oui, je suis une escroc douée-très douée, même. Mais je suis loin d'être la seule, et l'Organisation a l'air de s'être donnée beaucoup de mal pour m'attraper et me recruter. Pourquoi ont-ils besoin de moi ?

    Une nouvelle fois, je sens la peur m'envahir. Je me retiens de toucher le tatouage sur mon épaule. Et s'ils savaient ?

    Non. Non, impossible.

    - Tu ne connais pas mon âge ? Junon et toi aviez l'air plutôt bien renseignés sur mon compte, jusqu'à présent.

    - Dix-neuf ans, admet-il. Si ta carte d'identité dit la vérité.

    Je souris.

    - Pour qui tu me prends ? Je ne suis pas une menteuse.

    - Très drôle. De toute façon, dix-neuf ou quatorze, c'est pareil. Je n'ai pas envie d'avoir une gamine dans les pattes.

    - Comme si tu étais plus âgé que moi...

    - J'ai vingt ans.

    - Mon dieu. Excuse-moi, papi.

    Plus nous avançons, plus les couloirs se remplissent. Des agents se pressent dans tous les sens, tous vêtus du même uniforme noir. Personne ne nous prête attention.

    - Comment vous avez réuni toutes ces infos sur moi ? demandé-je. C'est un peu intrusif, tu sais.

    - L'Organisation a des contacts partout dans l'univers.

    - C'est quoi votre rôle, exactement ?

    - Arrêter les criminels.

    - Il y a déjà la PI pour ça.

    Il grogne. Visiblement, lui non plus n'a que peu de respect pour les poulets intergalactiques. Ça nous fait au moins un point commun.

    - On a plus de moyens que la PI. On est plus efficaces.

    - Pourquoi ? Qui vous finance ?

    Il me jette un regard en coin.

    - Quoi, c'est top secret ? Je vais travailler pour vous, je te rappelle.

    - Nous ne dépendons d'aucun gouvernement, lâche-t-il finalement. Nous avons des...donateurs un peu partout. Des gens riches, qui souhaitent s'assurer que la sureté de l'univers est entre de bonnes mains.

    - Et ici, on est où ?

    - Ce vaisseau est notre quartier général. C'est ici que l'on planifie nos opérations, et que l'on vit entre deux missions.

    Avant que je n'ai eu le temps de poser plus de questions, il s'arrête face à une porte et pose son doigt sur le lecteur d'empreinte digitale. J'entre après lui, et ma mâchoire se décroche.

    Une table holographique en verre occupe la majeure partie de la pièce, entourée de chaises noires. Trois des quatre murs sont intégralement recouverts d'écrans, tandis que le dernier...

    Sans même m'en rendre compte, je m'en approche. Une immense baie vitrée occupe la paroi. Elle est si propre, si transparente...c'est comme si rien ne me séparait des étoiles de l'autre côté. Comme si je flottais au milieu de l'espace. Je ne me suis jamais sentie aussi minuscule.

    - Ravie que la vue vous plaise, Mlle Jackson.

    Je me retourne. Obnubilée par le spectacle, je n'ai même pas remarqué Junon. Et juste à côté d'elle...

    - Tyler ?!

    Il me sourit, penaud. J'écarquille un peu plus les yeux à la vue de son uniforme noir. C'est bien lui, pourtant, aucun doute. Je reconnais sa tignasse rousse en bataille, ses joues rondes constellées de tâches de rousseur et ses lunettes posées de travers sur son nez. Il est grand, fin comme une allumette, se tient toujours un peu vouté, et parait encore plus jeune que ses dix-sept ans.

    Tyler, le hacker pas doué que j'ai rencontré il y a trois ans. Tyler qui m'a laissé tomber en plein cambriolage. Tyler qui apparemment, travaille pour l'Organisation.

Cass (sf/romance)Where stories live. Discover now