Chapitre 24

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Choquée, furieuse et l'esprit en vrac, je me laisse tomber sur le lit et fixe le mur comme si je pouvais y trouver des réponses.

Parce que, sérieusement, qu'est-ce que je suis censée faire de ça ? Il ne peut pas m'embrasser sans prévenir et m'abandonner avec trois mots d'excuse. Je n'ai même pas eu le temps de lui parler de Thétis. Il faudrait que je le rattrape, mais je n'ai que très moyennement envie de lui parler pour l'instant.

Oh, tant pis. J'ai des préoccupations plus urgentes que le comportement étrange de mon coéquipier. Je me lève, commence à faire les cent pas. On a besoin d'un plan.

Je passe la journée dans la chambre. En partie pour ne pas croiser Ross, et en partie parce que je réfléchis. Il me laisse toute une série de messages vocaux sur mon globophone, tous me demandant où je suis et pourquoi je ne lui réponds pas. S'il se pose sérieusement cette dernière question, il est encore plus stupide que je ne le pensais.

En fin d'après-midi, il finit par pousser la porte de la chambre.

- Jackson ! s'exclame-t-il. Pourquoi t'es pas sortie ? J'ai dû dire à tout le monde que t'étais malade.

Puisqu'il veut faire comme si de rien n'était, très bien. Ça me va. Encore une fois, j'ai des préoccupations plus importantes.

- J'ai mis au point un plan, annoncé-je sèchement. On passe à l'action cette nuit.

Il cesse enfin avec ses questions idiotes et je lui explique. Durant les quelques heures qui nous séparent encore de l'obscurité, on peaufine les détails avec Vywyan et Tyler, on pille les locaux de stockage de MétaLab pour rassembler du matériel. Peut-être que ce serait plus prudent d'attendre, de prendre quelques jours pour envisager d'autres possibilités, mais j'ai besoin d'action. Si je reste sans rien faire ne serait-ce qu'encore une journée, alors qu'on a enfin une piste fiable, je vais devenir dingue. De toute manière, plus on prend notre temps, plus notre imposture risque d'être découverte.

Même si ni Ross, ni moi n'évoquons le problème, il est évident que quelque chose a changé entre nous. On s'adresse à peine la parole, toujours sur le même ton froid. On ne se "chamaille" plus, comme dirait Vywyan.

Enfin, l'heure d'agir arrive. Je tiens à peine en place, et même si mon coéquipier arbore son habituel air impassible, je sais qu'il est aussi fébrile que moi.

Nous avons abandonné les habits de Carole et Yann pour de vêtements de sport sombres. Ses boucles noires partent en tous sens sur sa tête, mes mèches rousses sont tirées en queue de cheval. J'ai glissé tout ce dont nous aurons besoin dans un sac à dos. Nous n'avons pas d'oreillettes. Nous n'en avons pas emportées : leur présence dans nos bagages aurait été trop difficile à expliquer si quelqu'un les avait découvertes. Nous pourrions utiliser nos globophones pour rester en contact avec Vywyan et Tyler, mais si nous nous faisons attraper, le signal pourrait être tracké et ils se feraient arrêter aussi. Il vaut mieux ne pas prendre le risque.

Soudain, la chambre se retrouve plongée dans le noir. Le hacker a réussi à couper le courant, comme prévu. D'un signe de tête, j'indique à mon coéquipier de me suivre au dehors. Le réveil indique 23h00.

- Tu comptes me dire ce qui ne va pas ? me souffle Ross.

- De quoi tu parles ?

- Tu m'en veux pour quelque chose, et je ne sais pas quoi.

- Oh, tu sais très bien quoi.

- Non. Honnêtement, non.

Je lui jettes un regard incrédule, mais le pire, c'est qu'il a l'air sincère. Qu'est-ce qu'il croit ? Que je vais simplement oublier ce qui s'est passé ?

- C'est pas le moment, finis-je par grommeler.

Arrivé devant la porte au digicode, nous la trouvons ouverte. Comme prévu, Tyler l'a déverrouillée à distance avant de provoquer la pane. Je sors une barre en fer de mon sac à dos, et nous l'utilisons pour forcer l'ouverture de l'ascenseur. La cabine n'est pas là : il n'y a que des câbles, et l'obscurité. Je déballe le reste de notre matériel-des lampes frontales et deux harnais de fortune, que Ross a bricolés avec un morceau de corde. On les fixent en silence, puis on commence à descendre, en nous laissant glisser le long des câbles. J'essaie d'ignorer à quel point il est proche.

Bon sang, mais pourquoi il m'a embrassée ? Je ne peux m'empêcher de le détester pour ça-pour avoir gâché ce qui était en train de naître entre nous, peu importe ce que c'était. Parce que je commençais à le considérer comme un ami. Parce que peut-être, un jour, nous aurions pu être plus que ça. Mais maintenant, quand je le vois, je revis ce baiser et j'ai juste envie de m'éloigner de lui.

Non. Non, je ne dois pas penser à ça. Cette mission est importante, plus que tout. Enfin, ma vengeance est à portée de main.

Je revois le visage de Thétis. Je l'entends de nouveau me murmurer "Carole, tout va bien", sur le même ton mielleux qu'elle utilisait avant de m'enfoncer une seringue dans le bras.

- Tout va bien se passer, 55.

Elle va payer.

Nous atteignons le niveau -13 et nous glissons en dehors de l'ascenseur. Mes bras sont en feu, mes doigts crispés d'avoir agrippé les câbles, et mon cœur pique un sprint dans ma poitrine. J'examine notre environnement. Ici, pas de marbre, pas de murs d'un blanc impeccable. Juste un couloir de béton nu, plongé dans l'obscurité, et une série de portes métalliques. Je crochète la serrure de la première, et nous y pénétrons sans un mot. Je retiens un sourire. Cinq ou six tours informatiques sont alignées dans la pièce, qui baigne dans la lueur bleue de dizaines de LED clignotantes. C'est pile ce que nous espérions, pile ce que Tyler avait repéré quand il a piraté le réseau électrique du gratte-ciel : des serveurs branchés sur un générateur indépendant. Une mine d'informations, épargnée par la pane de courant. Je sors de mon sac ma tablette semi-holographique et la branche sur la tour la plus proche.

Copie des données en court, m'indique-t-elle. Temps restant : quinze minutes.

- Je vais fouiller les autres pièces, soufflé-je à Ross. Reste ici.

La prochaine porte que j'ouvre n'est pas verrouillée. Quand je la pousse, une vague de nausée m'envahit. Une table métallique occupe le centre de la pièce, encadrée par plusieurs machines. Le sol est d'une propreté clinique, et une odeur de désinfectant flotte dans l'air. C'est une salle d'opération. Je sors précipitamment, le souffle court, les mains moites. Soudain, je réalise que je reconnais cet endroit. Je l'ai déjà aperçu, à travers les yeux de quelqu'un d'autre.

Je revois la ruelle, le zoonite étendu par terre. Je revois sa tête exploser sous le tir de mon pistolet laser.

J'avance, et quand ma main saisit la poignée de la porte suivante, je sais déjà ce que je vais découvrir derrière. Ce qui n'empêche pas la rage de me submerger quand je me retrouve à l'intérieur du dortoir, face à ces dizaines et dizaines de gamins faméliques menottés à leur lit en métal.

Des pas résonnent alors dans mon dos. Je me retourne, trop tard. Les mains du gardien se sont déjà refermées sur ma gorge.

Cass (sf/romance)Where stories live. Discover now