Chapitre 44

125 15 8
                                    

Je cours à travers les couloirs. Je ne me soucie pas des débris sur lesquels je trébuche dans l'obscurité. Je n'ai pas de plan, je suis seule avec deux pistolets laser face à une dizaine de gardiens armés, mais je n'arrive pas à m'en inquiéter. La seule chose à laquelle je pense, c'est Ross, seul et inconscient, à la merci de nos ennemis.

Peu avant d'atteindre le laboratoire, cependant, je tombe nez à nez avec mon coéquipier. Il a perdu sa perruque, et ses boucles noires sont plus ébouriffés que jamais. Il porte Junon comme un sac sur son épaule. La vieille femme est encore inconsciente. Malgré son âge, elle a toujours dégagé une impression de force ; elle semble à présent prête à partir en poussière au moindre choc.

- Ross ! m'écrié-je.

Le soulagement déferle sur moi et je retiens de justesse les larmes qui me montent aux yeux.

- Il faut qu'on s'en aille, me répond-il. Vite.

- Comment tu leur as échappé ?

- Je leur ai tiré dessus.

Je fronce les sourcils.

- Tous ? Avec ton vieux machin ?

Il me regarde d'un air perdu.

- Quel vieux machin ? J'ai utilisé mes pistolets de bras.

- Oh...oui, bien sûr.

Il me prend par la main et me tire en avant dans le couloir, comme une petite fille.

- Tu les as tous tués ? demandé-je, étudiant soigneusement sa réaction.

- Beaucoup se sont enfuis.

- Par où ?

- Comment ça, par où ?

- Je n'en ai croisé aucun en arrivant jusqu'ici.

- Eh bien, ils ont dû sortir par l'autre côté.

- Évidemment. Tu sais quoi ?

- Qu'est-ce qu'il y a ?

- Tu aurais mieux fait de les suivre.

Je dégage ma main de la sienne et, sans la moindre hésitation, tire mon arme de sous mon blouson pour la lui coller sur la tempe. Il se fige un instant, puis sourit-un -demi-sourire sans émotion que Ross n'arborerait jamais.

- C'était si évident que ça ? s'enquiert Rémond.

- On avait peut-être un plan foireux, mais le votre était encore pire. C'était quoi, l'idée ? Tu partais jouer les espions ?

- Non. J'étais censé tous vous tuer dès mon arrivée dans votre vaisseau.

- Et tu n'as même pas tenu jusqu'à ce qu'on sorte du bâtiment. Maman ne va pas être contente...

Il se contente de sourire encore un peu plus. Puis il se met en mouvement.

Sa vitesse est surhumaine. Avant même de pouvoir comprendre ce qu'il se passe, je me retrouve plaquée contre le mur, le souffle coupé et mon propre pistolet sous le menton. Le corps de Junon glisse de son épaule et heurte le sol avec un craquement sinistre d'os brisés.

- Je crois au contraire qu'elle va être très contente, murmure Rémond.

D'une seule main, il cloue mes poignets au-dessus de ma tête ; son corps est collé contre le mien et je donnerais tout pour qu'il recule. Ses yeux gris me transpercent d'une manière profondément dérangeante. Jamais un simple regard ne m'a mis autant mal à l'aise-froid, vide, à la fois familier et étranger.

- Qu'est-ce que vous en pensez, Mlle Jackson ? Je vous ramène vivante jusqu'à elle, ou votre cadavre suffira ?

Je ne prends pas la peine de répliquer et jette mon esprit vers le sien, bien décidé à déchaîner mon pouvoir sur lui.

J'ai l'impression de me prendre un mur-non, pas un mur : un camion, lancé sur moi à toute vitesse. Pendant plusieurs secondes, je ne vois plus rien. Une douleur sourde pulse sous mon crâne et étouffe mes pensées ; je n'arrive plus à respirer. Puis, lentement, le monde réapparaît autour de moi. Je prends une inspiration tremblante, essayant de comprendre ce qui vient de m'arriver.

- Ça n'a pas l'air agréable, observe Rémond avec ce qui ressemble à de l'amusement.

- Qu'est...que...balbutié-je, incapable de former une réplique cohérente.

Je remarque alors le cercle de métal dissimulé entre ses mèches de jais : le même que celui de Thétis. Je parie qu'à l'intérieur du laboratoire, ils en ont tous un, caché sous leur casque.

MétaLab a trouvé un moyen de neutraliser ma télépathie.

Je réalise soudain que je ne vais peut-être pas pouvoir m'échapper. La panique m'envahit peu à peu. Je m'efforce de lutter mais elle remonte toujours plus haut dans ma poitrine, l'enserrant comme un étau.

Soudain, je suis libre. Le poids de Rémond disparaît. J'ai le temps de voir la surprise déformer ses traits juste avant qu'il ne s'écroule. Un filet de sang coule le long de sa tempe.

- Tu vas bien ? me demande Vywyan, un pistolet laser à la main.

- Tu l'as tué, lui soufflé-je.

- Je ne t'ai pas demandé comment il allait, lui, mais comment tu vas toi, me rétorque-t-elle d'une voix sèche.

Vywyan. Vywyan, qui a quitté le gang de son père parce qu'elle ne supportait pas la violence, vient de commettre un meurtre pour moi.

- Je vais bien, lui dis-je. Grâce à toi.

Je la serre contre moi avec force. Inspire son odeur de vanille et de noix de coco.

- Merci, Wy, lui soufflé-je.

- Enfin, répond-elle. Je commençais à penser que tu ne connaissais pas ce mot.

- Disons que c'est toi qui me l'a appris.

- Oh, mon dieu, s'écrie Tyler derrière nous. Est-ce que Ross est mort ?

Je me détache de Vywyan. Le hacker fixe le cadavre de Rémond, à bout de souffle et visiblement sous le choc.

- Non, c'est pas lui.

- Comment ça, c'est pas lui ?

- Je t'avais dit de nous attendre dehors ! intervient Vywyan.

- Et elle nous avait dit à tous les deux d'attendre dehors, réplique le garçon en me désignant.

- Je vais chercher Ross, les coupé-je. Sortez Junon d'ici.

Mon amie ouvre la bouche, comme pour me dire d'être prudente, mais à la place elle me demande :

- Tu as un plan ?

- Je préfère pas, rétorqué-je. Mes plans ont tendance à plutôt mal tourner, ces derniers temps.

Cass (sf/romance)Where stories live. Discover now