Chapitre 36

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Ken

Je sais pas pourquoi je les ai emmenés avec moi, ils servent à r. Si je devais leur trouver une utilité malgré tout, je dirais que c'est à eux que j'attribuerais le mérite de m'enfoncer un petit peu plus profond parmi mes pensées sombres. Ils sont plein à craquer de ce que j'ai pas osé dire depuis sa crise d'angoisse dans le métro, et juste avec ça, j'ai quand même réussi à en remplir cinq.

Et là, tout de suite, promener mon regard de haut en bas le long de la pile de carnets sur le siège passager, ça m'évite juste d'avoir à lever les yeux, et de constater que ouais, ma mère est à la maison, sa voiture est là, ouais, mon père est probablement absent, et ouais, je suis arrivé. Le chemin m'a pas paru assez long, honnêtement. Je pensais qu'il le serait assez pour me donner envie de faire demi-tour.

Parce qu'en vrai, je compte dire quoi à ma mère, quand elle va me demander ce que je fous là avec les jumelles, un mercredi midi, alors que c'est le seul jour de la semaine où on peut manger tous les 5 ensemble le déjeuner, Lya, Tan, moi et les jumelles ?

"Je me fais peut-être des idées Maman, mais je flippe de t'avoir vendu du rêve en t'annonçant que j'allais me marier avec Alya, parce qu'en fait, j'ai l'impression qu'elle a réalisé que c'était plus ce dont elle avait envie."

Ou que c'est juste plus moi dont elle a envie. En la voyant allongée dans son lit d'hôpital, l'air épuisée, la peau blanche pire que de la porcelaine, et rongée par le stress, perso j'ai réalisé que je pouvais, et que je voulais lui donner encore plus que ce que je faisais déjà, parce que le lendemain, elle pourrait très bien ne plus être près de moi. Elle a peut-être réalisé le contraire.

J'arrive pas à retenir la larme solitaire qui descend le long de ma joue la seconde suivante. Ça fait un mal de chien rien que d'envisager le bail. Le pire, c'est que je lui en voudrais même pas, je sais même pas ce que j'ai fait à la base pour la mériter elle. Elle est plus jeune que moi, elle pourrait avoir un gars de son âge, un gars qui va à la salle régulièrement, un gars qui finit pas en dépression tous les trois mois, un gars qui bouffe pas pour essayer de régler ses problèmes, un gars qui a un taff sain.

Pourtant, même sans les regarder dans le rétroviseur, Alya, c'est bien la mère de mes deux princesses, qui dorment au chaud sur la banquette arrière. Elle les a portées, je l'ai vue rayonner pendant des mois, je l'ai vue passer des centaines de soirées dans mes bras, la paume contre son ventre, à s'endormir devant un film sans savoir que moi j'arrivais plus à me concentrer sur l'écran, que je la trouvais elle plus intéressante.

Alors pourquoi j'ai ce goût amer dans la bouche à chaque fois que je me rappelle la promesse que je lui ai faite, de la marier avant mon anniversaire ? Pourquoi, même si elle m'a dit oui à nouveau, y a toujours pas de date de marquée au fluo sur un post-it sur le frigo ? Pourquoi on a pas goûté de gâteau, ou le vin qu'on allait foutre sur les tables ? Pourquoi j'ai pas la foi de prendre rendez-vous pour choisir ma tenue avec les gars ? Pourquoi je m'imagine pas Lya aller essayer des robes avec Nessy et les filles ?

Pourquoi c'est devenu si douloureux que j'ai fini par arrêter de me battre tous les soirs quand elle rentre du taff ?

Si j'étais seul dans ma caisse, sans les filles à l'arrière, je serais déjà en train de chialer. Vraiment chialer. Parce que la douleur elle est indescriptible, quand je m'imagine ma petite soeur remonter la fermeture d'une putain de robe blanche dans le dos de ma Lya, qui tient délicatement ses boucles au-dessus pour pas qu'elles ne viennent se bloquer dedans, tout ça avec un sourire aussi lumineux que celui de Tan quand il remarque Mila. Je fais quoi si elle veut plus de ça avec oim ? Parce que je sais que cette fois, je m'en remettrais pas. Y aura pas d'album noir, y aura r, si elle me quitte, je suis niqué.

Milieu d'après-minuit · NekfeuWhere stories live. Discover now