Milieu d'après-minuit · Nekfeu

Chapitre 38

Alya

J'ai du mal à détacher mes yeux du paquet de chips. En deux ans, y a pas grand-chose qui a changé, c'est toujours le goût le plus difficile à trouver sur Paris, et qui d'autre que Lili pour en avoir fait son préféré ?

Juste histoire de faire chier le monde. Ça me fait sourire.

La petite rousse aux boucles rebelles, aux grands yeux gris, et à la force surhumaine ne perturbe pas que les rappeurs décolorés, mais ma nouvelle collègue aussi. Il a suffi que Lili prenne la tête au livreur de fournitures de bureau, pour que Kira, la stagiaire qui travaille juste en face de moi, la regarde avec les sourcils levés.

"Pourquoi elle s'en mêle ? Elle travaille même pas ici. C'est une manie de faire chier le monde ?"

C'est dans ce genre de situations que je bénie l'adoration que Ken a pour les apps de méditation. Parce qu'il a fallu que je me concentre fort sur ma respiration pour pas me lever de mon siège, lui lancer mon meilleur regard noir, et descendre à voix haute la liste des choses qu'elle, elle fait mal depuis le début de son stage. Avant de venir critiquer Lili.

Qu'est-ce que tu peux en vouloir à une personne de faire chier le monde de temps en temps, si le monde la fait chier en retour depuis le premier jour de sa vie ?

Et apparemment, l'univers est bien décidé à continuer sur sa lancée. J'ai été si naïve en écrivant le discours que j'ai lu à son mariage, en partant du principe que si elle avait galéré jusque-là, c'était juste parce qu'elle n'avait pas croisé le chemin de Mathieu. Et réciproquement. C'est ce que je me suis dit quand ils se sont mis ensemble et que je les ai vus se rendre heureux, jusqu'à ce qu'on m'appelle pour me dire que Michka allait naître beaucoup trop prématurément, et qu'il avait peu de chances de s'en sortir.

Puis fort comme son papa et sa maman, mon filleul a survécu évidemment, il a rencontré son grand-frère, et il a vu la jolie bague que son papa a offert à Lili. Là encore, je me suis dit que ça y est, elle allait avoir le droit d'être au calme et heureuse. Jusqu'à ce qu'on lui annonce pour le procès d'Adeline. Depuis, ça aurait été nier que de dire que ça allait. Je savais que ça n'allait pas aussi bien qu'avant, je pensais juste pas qu'on en arriverait à Mathieu paniqué au téléphone hier soir.

Plus de quarante minutes, le temps du trajet de mon travail jusqu'à la maison, c'est ce qu'il a fallu pour avoir une ébauche de solution de secours pour aujourd'hui, pour demain, jusqu'à dimanche, jusqu'au retour de Mathieu à Paris. Temporairement encore.

Parce que, lui comme moi, on était sûrs d'une chose : Lili n'accepterait jamais que je la déménage avec les garçons à la maison, comme on a pu faire avec Inès. Plutôt mourir. C'est probablement la réponse qu'elle aurait donné. Sûrement enrobé d'une blague du genre : j'aime les poussins, pas les canards, vivre avec Ken, non merci. Ça n'aurait rien changé dans le fond à son choix, elle aurait dit non. Et pire que de dire non, elle saurait qu'on sait, et elle se renfermerait juste un petit peu plus encore sur elle-même.

Lili a besoin de contrôler la situation, pas qu'on la contrôle pour elle. En tout cas en apparence. Donc plutôt que de l'enfermer à la maison avec Ken en tant que baby-sitter, la surveiller de loin, et de temps en temps, avec Mathieu on a convenu que c'était probablement le mieux. Yvick à Enna pendant la journée, comme il fait déjà d'habitude, Enzo le soir à la maison, si y a un problème il m'appelle, ou il appelle Dao, et le reste du temps, cet après-midi par exemple, on s'arrange pour ne pas la laisser seule. Au match de foot d'Enzo.

Je pense juste qu'elle s'attend pas à ce que j'amène d'autres supporters avec moi, autre que Thanos, qui n'a pas arrêté de sautiller ce matin quand je lui ai dit ce qu'on ferait cet après-midi. Parce que j'ai prévu 2 billets supplémentaires.