Prologue

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Le soleil se reflétait à l'infini sur les immenses prairies verdoyantes, les teintant d'une pointe d'or. Au loin, les blés ondulaient avec la légère brise de ce début d'été. La campagne semblait vivante, se mouvant au gré du vent tandis que les cheveux de Hannah s'emmêlaient dans son dos et devant sa figure.

Tout était paisible. Le souffle de la nature se répercutait sans ses oreilles. Maintenant encore, elle était si enivrée par sa nouvelle vision du monde qu'elle passait de longues après-midis à le contempler. Elle ferma les yeux ; elle se sentait apaisée. Derrière ses paupières closes, des vibrations et des courbes apparaissaient ; c'était le flux des choses qu'elle percevait de mieux en mieux grâce à son pouvoir grandissant.

Elle laissa aller les papillons de son estomac qui bourdonnaient d'aisance ; tout était en paix. Un an s'était écoulé, et rien. Aucun événement notable. Ils avaient savouré le plaisir de gouverner. Cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait plus vu Örka. Elle étendit les bras, inspira profondément, et s'apprêta à lancer un appel. Elle sentit ses entrailles se soulever comme un millier de délicates fleurs d'or portées par le flot des vagues, et, prenant conscience des moindres os et tendons de son corps, elle laissa ses talons se décoller du sol, rejetant ses blanches mains en arrière dans le mouvement, pour lui permettre de s'élever lentement.

Elle retomba à genoux aussi sec, et même avec une certaine brutalité ; sa nuque partit en avant dans un claquement. Le temps de prendre conscience de ce qui lui arrivait, une douleur sourde l'immobilisait, enserrant sa gorge et étreignant ses moindres organes internes. Elle pencha le cou plus en avant encore ; un horrible liquide noir, visqueux et épais sortit en flots de sa gorge, ruisselant le long de son menton et souillant la terre, asséchant cette dernière tandis qu'elle la pénétrait. Hannah était paralysée, brûlant de l'intérieur, consumée par le feu qui l'habitait.

Elle sentait son esprit la quitter, sa conscience partir pour la laisser telle que l'insecte pris dans la toile de l'araignée qui sent ses entrailles absorbées par sa captive tandis qu'elle le dévore ; elle voulait hurler, mais sa voix ne lui appartenait plus.

- Le... le mal... l'éveil... siffla-t-elle d'un son rauque, entrecoupée de vomissements. La fin de tout ce que vous connaissez... Elle est proche... Il approche... L'inversion des choses... Le combat d'un monde... La vérité suprême...

Elle se retint pour ne pas s'effondrer face contre terre, toussa, cracha, jusqu'à évacuer la totalité du flux. Elle se releva péniblement, chancelante et haletante, et reprit lentement la route du palais les jambes tremblantes.

Le Chancelier Karden, ses joues épaisses garnies de larges favoris d'un brun grisonnant disparaissant sous le haut col relevé de son manteau de feutre bleu, l'aperçut de loin et fit quelques pas vers elle.

Le temps qu'elle le rejoigne, elle était prête à s'effondrer ; il la soutint et lui enfila sa veste qu'il était venu lui apporter.

- Majesté ? Est-ce que tout va bien ? demanda-t-il d'une voix où se mêlaient surprise et inquiétude.

- Je... Ce n'est rien... Il faut... que... je...

Cette fois elle s'effondra tout à fait, en une masse inerte dans les bras du chancelier. Il la retint, mais elle était si molle et sans vie qu'il fut obligé de la poser délicatement au sol. Il regarda autour de lui, effaré -il n'avait jamais eu de femme, et qui par conséquent ne savait pas toujours comment se comporter en leur présence, savait encore moins réagir quand il en avait une inconscient à ses pieds. Par ailleurs, il n'avait pas l'habitude du contact avec l'impératrice, qui était d'ordinaire très froide avec lui.

Il écarta d'un geste hésitant ces longs cheveux fin d'un blond si pâle, entrouvrit sa bouche, et la coucha sur le côté. Puis, apercevant un garde aux abords du palais, il lui fit des signes empressés avant de souffler de toutes ses forces dans son sifflet d'argent pour rameuter du personnel de maison.

Quelques instants plus tard, cinq femmes de chambre, le garde et deux de ses confrères accouraient vers eux. Les deux hommes portaient une civière et chargèrent l'impératrice dessus ; les domestiques courraient dans tous les sens, ne sachant pas comment se rendre utile.

On allongea Hannah sur un somptueux canapé de cuir rouge sous l'imposant lustre du grand salon du rez-de-chaussée, ses pieds reposant sur un tapis de fourrure. Une des femmes de chambre revint en apportant un coffret de sels entreposés dans de riches fioles de cristal ; elle déboucha l'un d'eux et le tendit à sa supérieure, qui le fit respirer à sa souveraine. Sa lèvre inférieure trembla, elle battit difficilement des paupières.

- Que fait-on ? chuchota celle qui avait amené les sels. On lui fait du bouche-à-bouche ?

- Martha ! Sunni ! Filez chercher des compresses froides au lieu de poser des questions stupides ! répliqua sèchement la femme de chambre en chef avec des gestes furieux du doigt. Et vous autres, écartez-vous ! Elle peut à peine respirer.

Les deux petites détalèrent par un couloir dérobé, toutes empressées de se rendre utile et craignant le courroux de leur supérieure, tandis que leurs consœurs s'éloignaient avec respect du canapé.. La lourde double porte de bois poli du salon s'ouvrit ; et un visage lisse, pâle et inquiet, percé de deux yeux superbement ombragés, et encadré de longs cheveux noirs apparut. Bientôt des chaussures blanches à haut talons claquèrent sur le sol, et la nouvelle venue tira sur la manche de sa robe fendue couleur neige avant porter nerveusement une main à son collier de perles nacrées.

- Est-ce que Sa Majesté va bien ? s'enquit-elle d'une voix douce. Le Chancelier Karden m'a fait prévenir que...

- Ne vous en faites pas, Mademoiselle Duyhèn, interrompit la femme de chambre en chef, nous nous en chargeons.

- Oh, si c'est vous qui vous en occupez, Anne, répondit Lii avec un sourire, alors je n'ai vraiment aucune inquiétude à avoir.

Pendant ce temps les filles étaient revenues, et on appliquait des linges froid sur le front noble de l'impératrice.

- Lii ? murmura-t-elle faiblement.

- Hannah ? Oh, Hannah, que s'est-il passé ? On m'a dit que tu t'étais trouvée mal pendant ta promenade du matin !

- C'est plus compliqué que cela, en vérité. C'est même assez... troublant. Préviens les autres, veux-tu ? Je veux vous entretenir dans la salle du conseil d'ici -je serai sur pied d'ici un quart d'heure, et je veux qu'ils soient tous présents. Ce que j'ai à vous dire ne peut pas attendre que nous soyons réunis pour le repas de midi -c'est de la plus haute importance.

- Vos désirs sont des ordres, Majesté, déclara Lii en s'inclinant, une main sur le cœur.

Et c'est reparti ! Je dois avouer que je suis heureuse de retrouver les XXIs et que je prends beaucoup de plaisir à écrire leurs aventures (et j'espère que vous aussi vous êtes contents de les revoir :3). Faites-moi part de vos impressions, j'ai très hâte de les recevoir !

L'éveil de Karey Daa (Les XXIs, livre III)Donde viven las historias. Descúbrelo ahora