Chapitre XXVI

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XXVI

– Qu... qu'est-ce qu'on a fait ?

Ce fut Maïke qui, le premier, prononça ses mots ; il était pâle et tremblant devant ses camarades morts. Pourtant, jamais il n'avait tremblé devant les Hommes en Violet, pas même quand Brömm lui était pratiquement tombé dessus, le crâne percé d'une balle. Peut-être qu'au fond, depuis qu'il ne tuait plus à tour de bras en prétextant aider sa survie, ou depuis qu'il était devenu père, il avait changé.

Tout autour d'eux était désolation. La terre était détruite, retournée, et asséchée, sauf aux endroits où elle s'était abreuvée du sang des deux cadavres mutilés.

– Est-ce vraiment nous qui avons fait ? balbutia Hannah, aussi atterrée que lui. Est-ce qu'on a même eu le choix ?

– On a toujours le choix, murmura Puy, comme un automatisme.

Hannah se tourna immédiatement et le foudroya du regard.

– Ce n'est pas vrai, dit-elle d'une voix acide. C'est ce qu'on dit toujours ; mais quand on dirige un pays et que ce pays est menacé par une créature dévastatrice, quand on a été choisi par une entité plus puissante que la vie elle-même pour être sa représentante sur Terre, non, on a pas le choix. Là non plus, on a pas le choix. On va enterrer nos camarades et rebrousser chemin. Au moins jusqu'au prochain hameau qu'on croisera.

Un silence d'approbation suivit ; de toutes façons personne ne se sentait d'humeur à contredire Hannah.

– Les XXIs ne sont pas faits pour être enterrés avec faste, ajouta-t-elle d'une voix étouffée. Nous sommes faits pour mourir en nous battant pour garder la tête hors de l'eau – et ceux qui se noient ne doivent pas s'attendre à être repêchés par leurs camarades, ils doivent se contenter du fait que l'on continue la lutte pour eux.

Elle releva la tête ; une larme coulait le long de sa joue.

***

Ils reprirent la route ; ils ne savaient plus où ils devaient aller. Rapidement, en coupant à travers les landes, ils rejoignirent le chemin qui circulait à travers les campagnes ; ils le suivirent, espérant tombant rapidement sur un petit village où ils pourraient se reposer pour la nuit et remettre de l'ordre dans leurs idées.

Et en attendant, ils comptaient sur la marche pour leur vider la tête. Mais pour l'instant, Hannah n'allait pas bien. Elle se sentait comme détruite de l'intérieur – mais elle n'était pas toute à fait sûre que ce soit à cause de la bataille directement. Elle se perdit une fois de plus dans ses pensées.

Une fois, j'aimerais avoir quelqu'un sur qui m'appuyer... je pleurerais sur son épaule, je me cramponnerais à son dos, j'étoufferais mes hurlements désespérés dans son cou. Et il me comprendrait, mais il ne dirait rien il se contenterait de me serrer fort dans ses bras puissants.

Et en cet instant, elle avait mal, elle avait froid, elle avait comme un besoin vital de ce contact, de cette présence.

Alors, comme pour répondre à cet appel de son cœur, le chemin lui présenta au loin les toits de quelques maisons et leur cheminée fumante ; Hannah devina le feu qui devait brûler dans leur foyer, et pressa le pas.

– Tiens... Mais ce ne serait pas un village, là-bas ? fit Maïke à voix haute. La nuit va bientôt tomber, le ciel est déjà d'un bleu fort sombre... que faisons-nous ?

– Il n'y a pas beaucoup d'options, lui répondit Hannah. C'est en effet bien un village que l'on aperçoit là-bas ; il fera nuit sous peu. Marchons encore jusque-là, et reposons-nous ; je crois que nous l'avons bien mérité. Demain, nous aviserons.

L'éveil de Karey Daa (Les XXIs, livre III)Where stories live. Discover now