Chapitre XXV

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XXV

Elle n'attendit personne ; elle n'en avait pas le temps. Il fallait qu'elle parte la première, et elle s'y était préparée. Elle bondit, et, en trois enjambées à peine, elle fut au sommet de la bute. Elle dominait les environs, et c'est ainsi que, le visage suant et le regard fébrile, elle le vit pour la première fois.

Il était au centre de la plaine qui s'ouvrait aux pieds de Hannah. Son bâton planté dans la terre l'avait crevassée tant il y avait appliqué sa force. Il apparaissait terrible au milieu des sillons tracés par les failles.

Et surtout, il était terrible et monstrueux.

Il mesurait plus de deux mètres, et il était tout en muscles, avec de grandes épaules. Sa peau était grise, et entièrement couverte de poils si long que la créature semblait vêtue. Les poils étaient sales, agglutinés, et enduits de cette poudre verte que les XXIs avaient trouvée dans la forêt. Un reste de pagne déchiré et vaseux lui servait de ceinture. Ses pattes inférieures étaient arquées et pourvues de serres qui lacéraient le sol. Mais le plus repoussant restait son visage. Il était encadré de deux puissantes cornes de bélier ; le front portait une longue excroissance creuse et sale qui semblait un crâne de crocodile. De cette masse sombre émergeaient deux yeux noirs de bête, luisant et encavés dans leur orbite, et une aura d'ombres obscures semblait l'entourer comme un vague brouillard en tourbillon.

Sa main titanesque se referma sur son bâton – qui était en fait un tronc déraciné ciselé de racines noires, et surmonté d'une lame courbe, semblable à une énorme faux de pierre massive. Puis il poussa un grognement terrible de fauve qui dévoila ses dents aussi larges qu'aiguës et qui fit vibrer l'air comme ses agitations avaient fait trembler la terre. Il redressa le dos pour se montrer dans toute sa puissance, et leva son arme imposante.

Se dresser... songea Hannah. Nous sommes déjà dressés depuis longtemps, et cela ne suffit pas. Il est temps de passer à l'attaque.

Elle jeta un dernier regard derrière elle. Maïke, Örka et Meerk étaient sur ses talons, et un peu plus loin Puy et les autres s'élançaient à leur tour.

– On ne se pose pas de questions ! hurla-t-elle comme si des explosions couvraient le son de sa voix. A l'attaque ! Éradiquons-le ici et maintenant !

Les cris, la poussière, la fumée, les failles, les grognements ; tout cela lui monta à la tête, elle ne réfléchit plus. Elle ne voyait plus que la masse grise et colossale de son adversaire.

Arracher... Déchirer... Tuer !

Elle bondit malgré la grande distance qui la séparait de son ennemi, et il lui semblait qu'elle s'envolait. Elle sautait en l'air du haut d'une colline ; avant de retomber en contrebas, elle s'éleva, et, saisissant son bâton à deux mains, elle s'apprêta à l'abattre sur le crâne du monstre. Celui-ci la vit venir sans problème, et il tournoya sur lui-même, envoyant Hannah s'abattre dans l'herbe.

– Tous avec Hannah ! Attaquez ! cria-t-il d'une voix qui déchira l'espace, et avec un accent que Hannah ne lui avait jamais entendu.

Aussi tandis qu'elle reprenait ses esprits du choc qu'elle avait reçu, elle sentit son cœur se réchauffer. Jamais l'idée que Maïke tenait à elle malgré tout ne l'avait encore effleurée. Des dizaines d'idées se poussèrent en même temps dans son crâne endolori.

Retourner à l'attaque... frapper fort... pardonner à Maïke... un jour... peut-être ?...

Elle se leva.

Pourquoi l'attaquer ? Qu'avait fait ce monstre, ou plutôt, que venait-il donc faire ? Et puis, au juste, pourquoi Haars Besoor était-il parti ? Est-ce que tuer cette abomination le ramènerait ? Pourrait-on la tuer sans l'aide du Suprême ? De toutes façons, est-ce qu'on ne serait pas obligé, au vu de la situation, de la tuer ou d'y laisser la peau ?

L'éveil de Karey Daa (Les XXIs, livre III)Where stories live. Discover now