Chapitre XXVII

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XXVII

Le silence durant quelques secondes, et pourtant ces quelques secondes parurent une éternité glacée à Hannah.

Pendant ces quelques secondes, des milliers de pensées fusèrent en même temps à travers son esprit si bien éveillé malgré l'heure tardive.

Comment avait-il su où elle était ? Comment était-il parvenu jusqu'à elle ? Et pourquoi ?

Et puis, comment savait-elle aussi pertinemment qu'il s'agissait de lui ? Est-ce qu'il savait qu'elle savait ? Est-ce qu'elle l'attendait, inconsciemment ? Est-ce pour cela qu'elle n'avait pris qu'une demi-décision ? Etait-ce pour cela qu'elle n'avait pas quitté sa chambre de la journée ?

Pourquoi ses entrailles se retournaient-elles en ce moment ? Pourquoi était-elle si crispée ? Etait-ce de la peur ? Pourquoi son cœur tambourinait-il si fort ?

Silence.

Bom. Bo-bom. Il fit un pas dans la pièce. Bom. Puis un autre. Bo-bom. Il referma délicatement la porte, la poignée renvoya un léger cliquetis. Bom. Il s'approcha imperceptiblement du lit.

Allait-il parler ? Pourquoi venait-il ? Est-ce qu'il allait la regarder et puis partir sans un mot ? Est-ce qu'elle devait faire semblant de dormir.


– Bonsoir, Dietr.

Sa propre voix déchira les ténèbres et siffla dans ses oreilles. Elle ne pensait pas parler si fort ; et après tout ce silence, elle n'avait même pas l'impression que c'était elle qui prononçait ces paroles. Elle se retourna brusquement ; il était penché sur le lit. Son beau visage était baigné par la lune. Ce nez droit, ces cheveux blonds et ras qu'elle aurait pu toucher rien qu'en tendant la main, ces yeux perçants l'obscurité... elle aurait voulu les absorber à jamais ; elle aurait voulu au moins caresser cette mâchoire rectiligne, ou enlacer ces épaules si fortes.

– Est-ce que tu m'attendais ?

– Ce serait plutôt à moi de poser les questions.

Elle aurait voulu au moins savoir comment il était arrivé jusque là, s'il l'avait suivie... mais le plus important était de prendre immédiatement le dessus de la situation.

– Comment oses-tu...

Sa phrase mourut sur ses lèvres ; il y avait pressé un doigt.

– Chut.

En temps normal, elle aurait explosé. Mais ce n'était pas méchant, pas du tout ; c'était dit avec une douceur infime dans la voix et une lueur complice dans le regard.

– Tu vas réveiller tout le monde. Tu me diras tout ce que tu voudras. Mais avant... j'ai fait beaucoup de route, j'ai froid, et puis je suis fourbu. Est-ce que je ne pourrais pas avoir un peu de place dans le lit ?

A ces mots la bouche de Hannah s'ouvrit et retomba sans un son. Elle était estomaquée ; ses yeux lançaient des éclairs meurtriers, mais son corps entier hurlait pour se coller contre celui de Dietr.

– Tu n'as pas besoin de répondre, tu sais, dit-il en ôtant sa cape et ses bottes. Tu n'as pas besoin de comprendre, et moi, je n'ai pas besoin de comprendre non plus. On est là, ici, ensemble, c'est l'essentiel. On peut faire ce qu'on veut, on est seuls dans le noir.

Et, déboutonnant sa chemise, il souleva le drap et se glissa sous celui-ci. Hannah recula instinctivement contre le mur, et il plongea ses prunelles dans les siennes. Elle ne pouvait pas s'empêcher d'admirer son torse. Il s'approcha encore ; ils n'étaient plus qu'à dix centimètres l'un de l'autre.

L'éveil de Karey Daa (Les XXIs, livre III)Where stories live. Discover now