Chapitre XX

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XX

Quand Hannah finit par s'endormir, ses songes étaient obscurs et peuplés d'ombres noires et fuyantes ; des feus follets semblable à des corbeaux tournoyaient au-dessus de son lit en murmurant des imprécations. Elle voyait sans cesse, au milieu de tous ces cauchemars fuyants, le visage menaçant de Dietr ; au début de la nuit, il s'arrachait des couteaux de la gorge, mais vers la fin, il la protégeait de torrents noirs qui s'écoulaient à la place des fleuves. Et chaque fois qu'elle le voyait, elle évitait toujours ses yeux, tout en étant irrésistiblement attirée par ses lèvres qu'un demi-sourire courbait. Alors elle se réveillait, pantelante, et elle murmurait son nom avec haine, les dents serrées.

Le jour vint, pâle et jaunâtre, caresser ses paupières fatiguées tandis qu'Anne ouvrait délicatement ses rideaux.

– Votre petit-déjeuner vous attend, Votre Majesté, dit-elle d'une voix mielleuse. Voulez-vous que je fasse venir Jasmine ?

– Non, je déjeunerai seule ici, et puis je sonnerai – il sera inutile de monter, vous saurez que c'est Jasmine que je demande.

– Très bien. Dois-je faire prévenir vos invités que Votre Majesté va mieux ?

– Oui. Vous demanderez à Bardds de faire passer le message à tous ces Messieurs-Dames.

– Ce sera fait. Je me retire.

Elle sortit, mais en s'inclinant, elle découvrit les gouttes du sang de Dietr sur le tapis, et elle jeta un petit cri. Hannah avait vu ses yeux s'écarquiller sous ses lunettes rondes, et elle avait tout deviné. L'imbécile ! pensa-t-elle ; mais il était trop tard.

– V-Votre Majesté... ce sang... ?

– Ce n'est rien Anne, ne vous occupez pas de ça. Vous ferez venir quelqu'un pour nettoyer ça quand je serai descendue prendre mon repas de midi. D'ici là, je vous l'ai dit, j'aimerais être seule.

Anne s'excusa quelques fois, puis sortit le plus rapidement possible. Alors Hannah soupira, et elle se leva. Elle n'avait aucune envie de s'habiller seule, ni d'appeler tout de suite, aussi décida-t-elle de rester encore un peu en chemise de nuit. Au moment où elle allait passer dans sa bibliothèque, elle entendit comme du mouvement dans son armoire. Elle se retourna, et elle vit la poignée trembler.

Mais ça n'arrêtera donc jamais ?

Elle alla à la garde-robe et l'ouvrit d'un seul coup, Dietr en tombant la tête sur le tapis, et elle lui donna un coup de pied.

– Misérable ! s'écria-t-elle. Qu'est-ce que tu fais encore ici ? Tu veux donc vraiment que je te tue ?

L'interpellé se redressa tant bien que mal et se massa la nuque.

– Je n'avais pas vraiment envie de repartir.. ça m'a semblé risqué, je ne sais pas trop... enfin bref, je suis revenu ici.

– Tu es entré dans ma chambre pendant mon sommeil ? Je devrais te faire crever les yeux !

– Ne t'en fais pas, je n'ai presque pas regardé. Et puis je n'ai pas peur ; si tu n'as pas encore appelé ta garde, tu ne l'appelleras pas.

– Qu'est-ce que tu comptes faire ? Rester ici ?

– Je partirai ce soir, quand il fera bien noir dehors. D'ici-là, je demandes juste que tu me laisses me cacher ici ; je ne suis pas très exigeant.

Au fond d'elle-même, Hannah ne comprenait pas pourquoi elle était incapable de le faire arrêter. Après tout, s'il était vraiment venu pour l'avertir, alors non seulement elle n'avait rien à craindre, mais en plus elle ne pouvait pas être ingrate.

L'éveil de Karey Daa (Les XXIs, livre III)Where stories live. Discover now