L'éveil de Karey Daa (Les XXIs, livre III)

Chapitre XV

XV

Six jours plus tard, Barren était de retour au palais. Entre temps, Hannah avait entretenu ses invités avec toute la majesté qu'elle avait acquise depuis le début de son règne. Elle n'avait plus été frappée par aucune prédiction, mais elle s'était également assez bien laissée aller ; elle avait un peu sympathisé avec ses camarades, et elle avait bu jusque plus tard que d'habitude, ce qui avait eu un effet très positif sur son humeur. Le cavalier, quant à lui, avait pris quelques jours d'étapes sur la route, et il n'était toujours pas arrivé à destination. Il s'était rendu compte que c'était le mouvement de départ qui était le plus important, et qu'il pouvait par conséquent s'arrêter en route aussi souvent qu'il le lui faudrait pour que son cheval ne soit pas fourbu et pour que lui-même arrive à sa destination dans un état décent – car, après tout, il allait rencontrer une impératrice. Certes, le danger était imminent, mais tant que le pays n'était pas rasé par les flemmes, c'était que tout allait encore plus ou moins bien. Et quand bien même, traverser le feu était l'un des nombreux arts obscurs qu'il maîtrisait.

Hannah se trouvait donc à sa place habituelle, en bout de table dans la grande salle à manger, mais sa chaise était renversée en arrière et elle tenait une coupe de cristal à moitié pleine de liqueur à la main, tout en riant joyeusement à un bon mot qu'Örka venait de lui souffler. Un valet vint lui apporter une petite note annonçant le retour du secrétaire chargé d'exécution ; aussitôt son sourire tomba, elle se leva et fit taire l'assemblée d'un regard.

– Je dois me retirer, les informa-t-elle, aussi continuer à vous amuser sans moi. Cependant tâchez de garder un état d'esprit approprié pour les prochains jours, car les exécutions que nous avons prévues auront lieu après-demain.

Elle sortit sans même attendre leur réaction, car elle avait beaucoup à faire.

Le reste de la soirée se passa pour elle à donner des instructions à la chaîne ; il fallait faire enfermer les prisonniers dans la section des condamnés destinés à recevoir une mort prochaine, faire préparer la Place du Peuple pour les évènements, et surtout informer la population, car une exécution sans sa foule qui maudit le condamné et loue son bien-aimé souverain n'est qu'à moitié réussie.

Elle s'endormit de longues heures plus tard avec une félicité suprême qui lui était rare ; et même si ses rêves étaient peuplés de cadavres qu'elle piétinait de ses bottes d'or, elle était ravie.

***

Le lendemain, la nouvelle se répandait par la ville, entre des annonceurs publics et des affiches, et l'on dressait déjà des gradins de bois en face de la Cathédrale du Saint Œil-Rose. L'agitation bourdonnait à travers les rues de la capitale, et ce d'autant plus que l'on annonçait que l'impératrice y ferait une annonce, et qu'il s'agissait presque autant d'une exécution que d'un sacrifice. Le peuple aime toujours les exécutions ; et quand celles-ci sont justifiées comme pouvant mettre fin à ses malheurs, alors ce n'est pas qu'il les apprécie, c'est qu'il les désire, c'est qu'il n'attend plus qu'elle : et c'était ce genre d'attente qui faisait frétiller les passants entre les artères de la ville toute la journée.

Et peu importe à quel point l'attente fait s'étirer le temps, ce moment que nous attendons finit toujours bien par arriver. Aussi, et malgré le désespoir ardent de ceux que l'on avait transféré dans le Couloir des Derniers-Échos de la prison Gregor Ier, le jour des mises à mort vint.

Une aube orangée vint réchauffer d'entre les barreaux la froideur grisâtre des étroites cellules d'où l'on ne revient pas – mais elle parut morbide aux vingt-et-un visages creusés par l'angoisse et aux yeux détruits par le manque de sommeil. La fin était proche, ils le savaient, et n'en étaient nullement apaisés ; au contraire ils étaient sur les dents et se mourraient presque d'appréhension terrible et de la détresse la plus profonde.