Chapitre XXI

65 12 0
                                    

XXI

– Il faut se rendre à l'évidence, déclara Hannah d'une voix forte au milieu de l'assemblée des XXIs. Notre visite de ce matin à Saint Œil-Rose ne laisse place à aucun doute ; Haars Besoor ne reviendra pas. L'état de l'Ostracon ne s'améliore pas, bien au contraire. Il semblerait que bientôt nous nous retrouvions avec une rose des sables aplatie comme seule relique, et avec le vent d'hiver comme seule divinité ; je n'ai pas besoin de vous dire que ce n'est pas envisageable. Nous avons, en quelque sorte, un double problème : nous devons retrouver Haars Besoor, ou du moins le ramener ici bas, et n'inquiéter la foule sous aucun prétexte. Alors, je vous le demande, et surtout, n'hésitez pas à me répondre : avez-vous des solutions ?

– La Prophétie ! murmurèrent la moitié des assistants.

– La Prophétie ! Est-ce une solution, ça, la Prophétie ? Que quelqu'un capable de me développer cette idée prenne la parole sans retenue.

Maïke, comme on s'y attendait, saisit le coche, et se leva.

– Considérez-vous l'existence de la Prêtresse Originelle comme inutile ?

Un silence suivit cette affirmation. On s'attendait à une flamboyante prise de parole ; à la place, le héros populaire posait une questions pour le moins étrange.

– Certainement pas, répondit Hannah, mais enfin ce n'est pas...

– Eh bien, coupa-t-il, à quoi servent les Oracles ? Est-ce que l'on a jamais exigé de nous que nous construisions le monde à partir de rien ? Sommes-nous le Suprême, pour créer des solutions ? Non ; nous avons toujours – et nos parents avant nous – dû nous battre en interprétant et en déchiffrant les Prophéties et les Textes. Est-ce qu'une crise comme celle qui nous occupe est le bon moment pour briser les traditions et pour se croire supérieurs à la voie tracée par le Suprême ? Les Oracles sont des fontaines de solutions ; le nôtre a déjà parlé, écoutons sa voix !

Il avait si bien parlé, que toute contestation de sa parole était inconcevable, et que certains des membres de l'assemblée l'applaudirent, se sentant presque honteux d'avoir douté de lui au départ.

– Bien, céda Hannah, bien ; une fois de plus nous nous pencherons sur les paroles de la messagère du Suprême.

Elle frappa du poing sur une petite sonnette, et immédiatement le Chancelier Karden entra par la porte du couloir qui conduisait à son bureau.

– Apportez nous les textes de la Prophétie que j'ai fait copier, Karden.

Quelques minutes plus tard, chacun des membres de l'assemblée avait devant lui une feuille avec l'écrit complet de la Prophétie de la Rose. Hannah, pour faire preuve de bonne volonté, scanna également les lignes, mais le cœur n'y était pas. Et cependant les dernières phrases lui firent l'effet d'un coup de poing.

« Le Cavalier seul et oublié viendra... »

Dietr ! Lui était aussi seul qu'oublié de tous avant son arrivée. Était-ce vraiment lui ? Est-ce qu'une partie de la Prophétie s'était d'ores et déjà accomplie ? Cela voudrait dire que Dietr avait vraiment un rôle à jouer...

« ...et avec lui, les cendres se raviveront dans l'âtre. »

Cette seconde partie, par contre, n'avait aucun sens. Quel âtre ? Quelles cendres ? Quel rapport ? C'était assez pour lui laisser penser que le Cavalier n'était pas Dietr ; mais en même temps, y aurait-il vraiment un second cavalier ? Lui aussi seul, lui aussi oublié ? Est-ce qu'elle s'acharnait trop sur les détails ? Et pourquoi est-ce que tout la ramenait systématiquement à Dietr depuis qu'il était venu ?

– Bon, dit Puy, qui commençait à perdre patience. Nous savons qu'Il arrive "quand le ciel s'obscurcit de bleu et de noir, quand les nuées amassées procurent le désespoir". Or, vous conviendrez tous que nous ne sommes pas dans cette situation. Il n'est donc pas encore arrivé. Qu'avons-nous à faire ? Aller le cueillir à l'arriver. Nous devons nous dresser contre lui, pas vrai ? Mais nous devons aussi "veiller". Alors, je n'ai qu'une chose à dire : partons ! Et le Terrible Guerrier des Ténèbres verra de bien de quel bois on se chauffe chez les XXIs.

On n'eut même pas besoin de vote, ni de demander l'avis des différents membres de l'assemblée ; le murmure d'approbation générale qui suivit ce discours suffit. Il fut convenu qu'on partirait donc au plus vite. Ils remirent à plus tard la décision de la direction à prendre.

***

La première étape fut donc de se préparer à partir ; il fallait voyager assez léger, s'armer sans doute, et être sûr de ne rien laisser derrière. Hannah demanda qu'on fasse faire une tenue à chacun ; on prévit le départ pour cinq jours plus tard. Tandis que les domestiques s'affairaient une nouvelle fois aux préparatifs, on réfléchit intensément au lieu vers lequel il faudrait se diriger.

– Est-il concevable, se lança Meerk,  qu'un monstre tel que celui que la Prophétie semble nous décrire apparaisse en pleine ville ? Cela me semble très peu probable. Il nous faut un endroit mystérieux, où la Nature puisse engendrer une créature néfaste, où le ciel peut s'assombrir comme on l'indique, et qui, si vous voulez mon avis, n'est certes pas très peuplé.

Il s'attendait à de vives réactions ; il n'eut que quelques regards qui le poussèrent à achever.

– Les landes, dit-il avec gravité. Je le sens. Partons pour les landes de Dartmoor !

L'éveil de Karey Daa (Les XXIs, livre III)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant