Chapitre XXXVI

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XXXVI

Les XXIs étaient tous déjà descendus. Au bruit que firent les talons pointus de Hannah, ils s'immobilisèrent tous et tombèrent en de multiples révérence. Une douce valse magnifiquement exécutée par un orchestre au fond de la pièce se déversait dans ses oreilles. L'impératrice eçut quelques compliments sur sa sublime robe blanche satinée de bleu pâle qui tombait jusqu'à ses pieds et découvrait ses épaules. Ensuite son premier geste fut pour Örka ; mais la seule chose qu'elle vit fut sa longue tresse noire qui voltigeait derrière elle au même rythme que sa robe vert pâle tandis qu'elle tournoyait entre les bras musculeux de Maïke. Ils n'étaient pas les seuls à danser – ils avaient Praag, Östark, Puy, Lii, Garan, Sauri, Bau et Tarr pour les soutenir – mais ils étaient de loin le plus beau couple de la piste, ne fut-ce que par leur grâce exceptionnelle. Hannah s'avança vers les couples semblables à des toupies et croisa Ilhoé qui tenait avec amour Saul dans ses bras.

– J'ai l'habitude de m'occuper de lui, sourit-elle d'un air mal à l'aise. C'est toujours moi qui le garde quand Maïke et Örka veulent avoir leur soirée, ou quand ils ont des journées chargées. D'ailleurs, je crois que je vais aller le mettre au lit...

– Fais, fais, répondit prestement Hannah avant de passer son chemin.

Cette fille ne connaissait pas grand-chose à l'étiquette. Quand on a rien à dire, on ne se force pas avec des une conversation inintéressante, et encore moins avec l'impératrice ! Un mètre plus loin, Judi lui rentra dedans. Décidément, la soirée commençait bien. Allons, c'était Judi tout de même... si elle ne faisait pas un effort pour être de bonne humeur, il n'y avait aucune chose qu'elle passa un bon moment.

– Ma... Majesté ! s'écria Judi en rougissant, son sourire s'étirant jusqu'à ses oreilles. Oh... J'étais si inquiète... Vous n'auriez pas dû partir comme ça... Enfin, je veux dire : tu n'aurais pas dû y aller seule. J'en perds mes mots ! Bon... au moins, c'est réglé, maintenant, pas vrai ?

Son visage reflétait l'innocence la plus totale, elle était adorablement mignonne : Hannah décida de ne pas souligner le fait qu'elle avait oublié de s'excuser après l'avoir bousculée. A la place, elle choisit de vider d'un trait ce qu'il restait de son verre de vodka – et elle serait prête à passer une agréable soirée.

– Tu ne t'ennuies jamais au palais, Judi ?

– Oh ! Je ne me suis pas vraiment posé la question... Avec tout ce qui est arrivé ces derniers temps, ça me paraît loin, mais...

– Que dirais-tu d'avoir tes propres dames de compagnie ?

– Ne suis-je pas déjà l'une de tes dames de compagnie ?

– Certes, mais cela n'empêche rien ! Et si tu veux, je peux également te donner une aile à gérer. Tu aurais ton équipe de femmes de chambre !

– Oui... Pourquoi pas... enfin, si cela te...

– Hannah !

Judi s'écarta en bredouillant quelques mots pour laisser passer Örka, qui rejeta ses beaux cheveux en arrière, se sépara de Maïke et s'avança en lui tendant les bras.

– Tu es magnifique, chérie, dit-elle en lui caressant la joue.

– Toi aussi, mais tu m'as surtout l'air en forme. Tu as bu ?

– Bah ! Deux ou trois petits verres. Toi aussi, d'ailleurs. Et puis je dois bien profiter de la fin de ma grossesse !

– Tu n'as pas besoin de te chercher des excuses, tu sais.

– On voit bien que tu ne te connais pas.

Ces mots dits pour rire, à la légère, étaient bien plus vrais que tout ce que Hannah pouvait suspecter.

– Si tu retournais près de ton homme ? suggéra-t-elle.

– Pourquoi ? Je m'en vais déjà demain.

– Ah ! Je n'y pensais pas.

– Tu vois ! Allez, ce soir, j'oublie mon mari, j'oublie mon fils, et je ne pense qu'à ma très chère et très prétentieuse meilleure amie. Viens, allons dans un coin tranquille.

– Je vais faire semblant de ne pas avoir entendu et te suivre en silence.

– C'est bien ! Tu vois, quand tu as trop bu, tu es un peu indulgente.

– Et toi, tu deviens un peu trop honnête.

***

Après avoir partagé une danse de courtoisie avec Puy à la demande de celui-ci – qui, même s'il était un peu trop grand, était un excellent partenaire, très gracieux et très galant – suivi d'un repas aussi délicieux qu'attendu, Hannah se retira dans ses appartements. Elle laissa tomber ses chaussures dans son antichambre et détacha d'elle-même sa robe avant de l'abandonner au milieu de sa bibliothèque. Puis elle alla droit à sa chambre à coucher et se jeta sur le lit. Tandis qu'elle enfonçait sa tête dans l'un des multiples oreillers, elle sentit qu'elle allait regretter la rapidité avec laquelle elle s'était couchée dès le lendemain. Mais elle était fatiguée... elle ferma les yeux et laissa ses pensées aller et venir.

Tout allait décidément bien trop vite... Il lui semblait que la veille encore elle était coincée dans un sombre et étroit couloir sans issue qui avait pour nom Prophétie. Et maintenant... Tous les XXIs repartiraient bientôt. Bien trop tôt. Un an sans les voir, un an sans presque aucune nouvelle, et ils s'en allaient comme ils étaient venus. Non, elle ne referait pas les même erreurs. Elle avait changé. Elle tenait à eux plus qu'auparavant. Il était impossible qu'ils perdent le contact. Elle les obligerait à lui rendre visite comme les bons sujets qu'ils étaient. Sa haine interne, toujours si brûlante, s'était éteinte, grâce à la distance puis au rapprochement. Elle ne tenait plus à les éloigner à tout prix, bien au contraire. Mais il était temps qu'elle assume ses décisions. Il ne lui restait plus qu'à lentement assouplir sa position jusqu'à permettre à tous de venir la voir souvent tout en ayant l'air de rester fidèle à elle-même.

Örka...

Elle gémit. Ce qu'elle allait lui manquer ! Mais après tout, Örka avait déjà fait son choix lorsqu'elle avait décidé de suivre Maïke un an et demi auparavant. Et puis il n'était pas spécialement souhaitable qu'elles se fréquentent au quotidien ; Örka avait changé, elle était femme, et surtout mère, c'étaient un grand nombre de responsabilités et des rôles qui comptaient énormément de place et l'occupaient beaucoup. Si elle devait chaque jour être rejetée par Örka, elle n'arriverait pas à pardonner complètement à Maïke. Au moins, si elles ne se voyaient que rarement, elles avaient une excuse parfaite pour passer tout leur temps ensemble.

La porte laissa entendre un léger grincement, étouffé par les épais et moelleux tapis, aussi Hannah n'y prêta aucune attention – d'autant plus qu'elle était déjà plongée dans un demi-sommeil, et que bien qu'elle ne soit qu'en sous-vêtements, elle n'avait pas le courage de se glisser dans ses draps. Ce n'est que quand elle sentit une main se poser sur sa cuisse qu'elle tressauta et se retourna vivement tandis que ses bras se hérissaient de chair de poule.

L'éveil de Karey Daa (Les XXIs, livre III)Where stories live. Discover now