Chapitre XXII

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XXII

Ils partirent donc ; il était temps. Quand Hannah se retourna pour jeter un dernier regard confiant sur le palais que baignait une douce lumière matinale, elle eut l'impression de sortir enfin d'épais sables mouvants pour déployer ses ailes et s'envoler. XXI Palace les avait enveloppé dans une sorte de torpeur inconsciente, et il était plus que temps qu'ils passent à l'attaque. Une dernière fois elle s'imprégna de la majesté de cet immense bâtisse qui avait tant vu, et à l'intérieur de laquelle tant d'Hommes avaient vécu et étaient morts ; ses hauts murs couleur crème étaient rosés par le soleil du matin, et ses moulures blanches que l'ombre bordait faisaient ressortir encore les centaines de fenêtres qui bordaient la face sud. En cet instant, il lui sembla fascinant de songer à quel point certains lieux se gravent dans notre esprit et nous apparaissent plus beaux encore parce que nous y sont attachés. Ce château, elle l'avait maudit sans pourtant savoir il quoi il ressemblait ; et maintenant qu'elle pouvait l'observer tout à sa guise, il lui appartenait, et c'était avec fierté qu'elle disait : ce sublime palais, cet enfant des nuages, il est à moi, et ce n'est qu'un des multiples symboles que mon pouvoir contrôle selon son bon vouloir.

Deux larges carrosses noirs à l'allure assez sobre les attendaient ; ils y montèrent, et, avec un imperceptible sourire, ils se mirent en route. Les chevaux partirent au trot, entraînant avec eux les véhicules, dont les roues bringuebalèrent sur le pavé ; puis rapidement les rues se fondirent dans la buée de leurs vitres, les avenues défilèrent sous le ventre de la voiture, ils traversèrent une lourde et haute double porte, et la ville resta derrière eux. Pendant le trajet, le monde apparut à Hannah comme un brouillard épais et flou ; la route lui parut monotone et particulièrement longue. Le vague brouhaha des conversations derrière elle se mêla aux vagues murmures de ses propres pensées et lui donna un mal de crâne qui ne la quitta plus.

Juste derrière Hannah étaient assis Lii et Puy ; ce dernier observait distraitement le paysage par la fenêtre tandis que sa compagne, elle, regardait du plus discrètement qu'elle pouvait, mais avec des yeux dévorants, Örka et Maïke, qui étaient assis dans la rangée de devant, de l'autre côté de l'allée. Il n'y avait pas à dire, ils étaient beaux ensemble – Örka faisait usage de ses deux bras, l'un d'eux était tendrement posé sur l'épaule de son mari, et l'autre entourait protectivement son enfant dont la tête reposait paisiblement sur la ventre de sa mère. Les deux époux souriaient ; elle d'un air serein et radieux, et lui de sa façon habituelle, un sourire charmeur et un peu en coin.

Mais ce n'était pas le beau Maïke qu'elle dévorait ainsi du regard, car elle était pleinement satisfaite des traits charmeurs de Puy ; c'était le petit Saul, avec ses cheveux brillants au soleil, son sourire d'ange et ses petits poings serrés – il faut dire qu'il était vraiment charmant, et qu'il était encore trop jeune pour que le caractère fougueux de son père puisse ressortir chez lui. Quiconque aurait croisé le regard de Lii en cet instant aurait frémi, car l'on eût dit qu'elle s'apprêtait à commettre un rapt d'enfant ; mais en vérité, il s'agissait plutôt d'un regard plein de convoitise qui annonçait sa volonté de fonder prochainement une famille elle aussi. Ah ! qu'il serait bienvenu, le charmant bambin qui scellerait définitivement son union avec Puy ! Elle sourit d'un air fatigué et laissa retomber sa tête contre le dossier de son siège.

Les routes se succédèrent, l'étendue des campagnes grandit encore, le vent balayait le feuillage des arbres de droite à gauche ; l'ensemble semblait un océan de verdure parsemé de l'écume grise des cailloux. Meerk contemplait ce paysage d'un air farouche. Était-il dans l'erreur ? Les Landes de Dartmoor seraient-elles vraiment la clé ? A contempler cette nature agitée par le vent, on n'aurait dit que seul le souffle du ciel troublerait le repos des champs dans les jours à venir... Et pourtant, il avait un mauvais pressentiment. Non, il était inconcevable qu'ils rentrent bredouilles de cette expédition. Quelque chose devait se passer, peu importait quoi.

L'éveil de Karey Daa (Les XXIs, livre III)Where stories live. Discover now