Chapitre XXIV

44 8 2
                                    

XXIV

Personne d'autre le ne voyait à l'instant où les yeux de Hannah s'écarquillaient sous le coup d'un étonnement qui était presque de la peur.

Il était énorme. Profond. Titanesque.

Cela ne dura que quelques secondes, mais elle fut seule face au problème. Elle tourna la tête – et elle vit ses compagnons rieurs, Maïke les yeux plongés dans ceux d'Örka, Östark le bras enroulé autour des épaules de Praag, Tarr les lèvres collées à celles de Bau dans un baiser presque trop fusionnel, et les autres se regardaient avec des airs complices, voire franchement heureux. Un bref coup d'œil lui suffit à embrasser toute la situation. Elle les regarda d'un air effaré, et surtout elle comprit parfaitement. Elle était seule. Elle était la plus rapide. Et il en serait toujours ainsi. Elle planta vivement son bâton dans la terre.

– Mais... Qu'est-ce que c'est que ce truc ?

Elle se tourna comme une possédée au son de cette voix. C'était elle qui lui apportait quelques gouttes d'espoir dans son obscurité. Certes, Hannah serait seule au moment décisif – mais les XXIs seraient toujours derrière elle, avec quelques longues secondes de retard.

– C'est un cratère, répondit-elle d'une voix lointaine et tout en fixant l'étendue du trou. Il n'y a pas de doute, c'est ici qu'il est arrivé. Je ne sais pas s'il s'est créé sur place, ou s'il est venu d'un autre monde, mais vu la taille des traces qu'il a laissées derrière lui, on ne doit pas avoir affaire à un petit agneau.

Un silence suivit ses paroles – mais même sans regarder ses compagnons, elle savait qu'ils gagnaient progressivement en détermination. Ce fut Maïke qui brisa ce silence le premier – et elle s'en serait bien douté.

– En effet, dit-il sur un ton presque amusé, on est plutôt partis pour tomber sur un énorme bélier bouffeur d'humains.

– Très drôle, Maïke. Tu crois vraiment que c'est le moment de faire de l'humour ? A moins que rire bêtement face au danger potentiel soit ta nouvelle façon de montrer à tous que tu es le chef légitime ici ?

Il faut croire que Maïke était d'humeur tolérante, ou du moins peu bagarreuse, car il ne répondit pas. De son côté, Hannah fut assez satisfaite de cette clémence, car ils n'avaient pas de tendre à perdre – aussi se résolut-elle à ne pas enfoncer le clou.

– Eh bien ! fit-elle en relevant la tête, si plus rien ne nous retient ici en haut, descendons.

Et ainsi ils descendirent la colline presque sans bruit. Ils avançaient plus avec prudence qu'en grand pompe, et l'herbe tendre étouffait leurs pas. Cependant ils furent bientôt sur la terre sèche et craquelée de l'impact ; là ils continuèrent, Hannah en tête, sur une bonne dizaine de mètres, soit le diamètre du cercle tracé par la collision. Au centre elle porta la main à la terre ; elle était tout aussi sèche qu'aux alentours, mais elle était creusée dans le sol un peu plus profondément. On y distinguait deux larges traces de pas et la même poussière verdâtre qu'ils avaient trouvé dans la forêt.

Il n'y avait plus de doute : la bête, l'être, la chose, était apparue au centre de la plaine ; en atterrissant elle avait créé un impact assez fort pour brûler le sol sur plusieurs mètres aux alentours et projeter des cendres dans la forêt voisine. Ensuite il était probable qu'elle ait parcouru la forêt, griffant les troncs et répandant son poison poudreux ; de la forêt elle était arrivée à Heyssfith Village et y avait massacré un cheval – et l'on pouvait s'estimer heureux qu'elle ne soit pas tombée sur un villageois. Mais il n'en subsistait pas moins que pour le moment, la créature était introuvable. Avait-elle disparu ? Suivait-elle la route pour aller ravager la prochaine bourgade qu'elle croiserait ? Ou battait-elle simplement la campagne ? A moins qu'elle ne se soit creusé un terrier dans le bois ?

L'éveil de Karey Daa (Les XXIs, livre III)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant