Chapitre XIII

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XIII

Une semaine plus tard, les XXIs étaient rentrés au palais sans grande pompe. Ils ne savaient pas quoi faire des informations qu'ils avaient récoltées durant leur voyage, n'avaient aucune idée de comment les utiliser, et n'étaient en aucun cas prêt à affronter un public curieux et surtout désireux de perpétuer la paix instaurée avec le règne d'Haars Besoor. Autant dire qu'ils étaient au point mort ; si, en effet, ils n'étaient pas rentrés bredouilles, en revanche ils ne se sentaient guère plus avancés. A peine un ou deux passants les avaient-ils vu réintégrer la capitale, et personne n'en avait fait un spectacle public.

Ils se trouvaient au milieu d'une interminable réunion – d'ailleurs le terme était assez abusif, car ils se contentaient de s'affaler, la tête entre les mains, sur une longue table en marmonnant quelques mots à peine compréhensibles, tandis qu'autour d'eux s'empilaient des montagnes de dossiers divers et quelques tasses de café qu'ils n'avaient même pas eu la force de boire jusqu'à la dernière goutte. Il faisait chaud, mais personne ne pensait à s'en plaindre ; ils avaient faim, mais ils ne mangeaient que quelques sandwiches du bout des dents. Une tête de plus tomba franchement sur le feutre vert du revêtement de la table. C'était désespérant, mais Hannah n'avait plus la force de s'en irriter ; des cernes profondes creusaient la peau sous ses yeux. Elle se serra le front de ses mains blanches, et puis soudain cette énergie presque tyrannique qui l'avait quittée lui revint, et avec elle il y eut comme une décharge électrique. Hannah tressauta, elle frappa du poing sur le bois, et ensuite ce fut l'assemblée qui tressauta.

– Bon. Ça ne peut plus durer. Nous ne sommes plus au temps du bagne, nous ne sommes plus seuls dans l'obscurité sans personne pour nous remarquer. Nous avons des responsabilités, un peuple et plusieurs pays à diriger, et nous sommes les représentants de la Divinité Suprême, qui est peut-être en grave danger, et nous ne faisons rien ! Ce n'est pas tolérable, et nous pouvons nous estimer heureux de ne pas encore avoir eu de révolte. Allons ! Est-ce pour que nous nous prélassions ainsi que les Premiers ont uni leur sang ; est-ce pour que nous restions les bras croisés lorsqu'il se meurt qu'Haars Besoor nous as fait ses enfants ? Est-ce ce ramassis d'incapables que les XXIs, est-ce là l'image que nous voulons renvoyer à feu nos parents ? Est-ce ainsi que nous voulons réécrire l'Histoire, et nous tracer un chemin de flammes sur la terre des Hommes ? Que tous ceux ici qui veulent être encore dignes de porter notre nom, que tous ceux ici qui osent aspirer à la suprématie, à la puissance et à la gloire du Suprême, se dressent immédiatement et brandissent le poing aussi vivement que leur rage de vivre le leur permet !

Et, joignant le geste à la parole, elle se leva – en reversant presque sa chaise au passage – et lança le poing en l'air. En un instant, tous étaient debout, et dans la même posture. Un léger sourire fier passa sur les lèvres de Hannah.

– C'est bien ce qu'il me semblait. Maintenant, rasseyez-vous, redressez-vous sur vos sièges comme les valeureux que vous êtes, écartez tout ce qui vous encombre de cette table ; ouvrez grand vos oreilles et vos esprits, car nous allons déchiffrer cette prophétie.

Elle claqua des doigts, une petite bonne entra par la porte de service dissimulée sous le papier peint kaki.

– Un tableau noir, ordonna l'impératrice sans même se retourner.

Un instant plus tard, par la grande porte cette fois, entrait un large tableau noir à peine poussiéreux, avec deux hommes qui le poussaient à bout de bras – et qui sortirent aussi vite qu'ils étaient entrés.

– A moins que certains d'entre vous aient des objections – auquel cas ils peuvent sortir tout de suite, car nous avons assez perdu comme cela – nous allons commencer.

Un silence suivit cette information ; alors Hannah, qui semblait tout à coup au meilleur de sa forme, saisit une craie et traça sur le tableau, d'une écriture manuscrite raffinée et appliquée, mais pourtant très rapide, les quatre premières lignes de la Prophétie de la Rose :

L'éveil de Karey Daa (Les XXIs, livre III)Waar verhalen tot leven komen. Ontdek het nu