Chapitre VIII

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VIII

Elle n'eut pas besoin de la permission de Hannah pour continuer ; elle avait compris en instant à quel point l'heure était grave et elle savait qu'elle l'avait.

– Si nous ne pouvons plus compter sur l'Œil, il nous faut une autre source de consultation fiable. Je ne nous pense pas capables de trouver une solution ainsi ; par contre nous pourrions...

Elle se mordilla nerveusement la lèvre avant de continuer.

– Avant l'Œil, l'ornement qui faisait la gloire de la Place du Peuple était tout autre. La Rose... L'ancienne Rose de la Cathédrale. Nous pourrions la consulter.

Un nouveau silence, interloqué, suivit cette déclaration.

– Je dois bien avouer que j'y avais vaguement pensé moi aussi, la soutint Hannah. Cette pierre n'a rien de saint ; aucun esprit ne l'habite, mais quand elle a été mise en place, il a été dit qu'un jour une relique sacrée prendrait sa place. Je ne crois pas au hasard – quelque chose dans la construction de ce bâtiment a été planifié, car le cercle de pierre sur la face avant a exactement les dimensions de l'Ostracon. Peut-être qu'un parent des Premiers a participé à la conception des plans – je n'en sait rien, mais il y a forcément quelque chose. Et surtout, bien plus que le reste, il y a le lieu où se trouve cette rosace de verre : nous l'avons placée de nous-même sur l'ancien village de nos parents – derrière cette couronne d'arbres au pouvoir infini, là où tout commença, là où la Prêtresse Originelle énonça la Prophétie qui nous a fait ce que nous sommes. Oui, c'est certain, c'est là que nous devons nous rendre avant toutes choses.

Tous hochèrent la tête en signe d'assentiment ; c'était convenu.

– Il nous faudra peut-être quelques jours pour prévoir le voyage. Il me semble judicieux de préparer le mieux possible cette expédition, car d'elle dépend ce qui suivra ; et nous devrions profiter du fait que pour le moment, nous n'avons affaire à aucune menace concrète. A vous qui êtes arrivés il y a peu au palais, désirez-vous visiter l'Œil avant de partir – ou devrais-je dire la Paupière ?

Maïke réagit presque immédiatement.

– Oui, il est certain que je ne partirai pas sans avoir vu l'état de notre relique de mes propres yeux.

C'était à prévoir, songea Hannah. Le fougueux chef des Fuyards veut redevenir le maître de la situation pour pouvoir prendre ses propres initiatives. Et naturellement, le clan Maïke ne va pas tarder à rappliquer.

Elle ne croyait pas si bien dire ; presque aussitôt, une dizaines de têtes s'agitèrent, et des "oui, il a raison" parcoururent la salle. Et ils venaient aussi bien des compagnons de Maïke en Hongrie que de ceux qui vivaient désormais en Allemagne.

Décidément, je n'aurai jamais ce qu'il a.

– Et bien, qu'il en soit ainsi. Nous nous rendrons demain matin Place du Peuple ; et nous en profiterons pour annoncer publiquement l'état de notre Suprême. Enfin, nous partirons d'ici trois jours.

– Faut-il vraiment informer le peuple ? coupa Maïke. N'est-ce pas trop tôt, et cela ne risque-t-il pas de créer des émeutes, de faire s'inquiéter inutilement la populace ?

– Nous présenterons la chose comme pouvant être réglée rapidement par nous. Si cela se découvrait sans que nous l'ayons annoncé, nous perdrions la confiance du peuple. Autre chose ?

Cette fois, plus personne n'osa couper l'impératrice, qui annonça la fin de la séance.

***

La journée se termina sans grands événements ; Hannah s'était enfermée dans ses appartements et elle y réfléchissait profondément.


L'éveil de Karey Daa (Les XXIs, livre III)Where stories live. Discover now