La Castigadora

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Allongé sur le lit depuis un trop long moment, je me levais et allais espionner ma copine dans la salle de bain. Elle aiguisait tranquillement un couteau de boucher en se léchant les babines.


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Katherine n'était qu'une petite fille de six ans quand sa famille dût quitter la France pour s'installer à Barcelone, en Espagne. Trop jeune, elle n'avait pas pu apprendre le français, et par conséquent, l'espagnol fut considéré comme sa langue maternelle.

Son enfance se déroula paisiblement, entourée par sa famille. À l'école et dans la rue, elle parlait espagnol, et chez elle, en compagnie de ses parents, elle apprenait le français. Apprendre deux langues pendant son enfance lui était très utile, et ses parents étaient fiers de leur enfant. Non seulement elle était très belle, avec ses longs cheveux blonds, ses grands yeux bleus et sa peau de porcelaine, mais elle était également dotée d'une grande intelligence.

Et elle était bien récompensée ! Ses parents l'aimaient plus que tout, elle travaillait bien en classe, ses notes étaient excellentes et son comportement était toujours irréprochable. Elle avait toujours obéi à ses parents, elle était toujours souriante et respirait la joie de vivre. Mais elle était également très peureuse, et n'osait pas s'aventurer vers l'inconnu. Elle tenait toujours la main de sa mère dans les grands marchés, si bien qu'elle n'osait même pas la quitter pendant quelques secondes pour aller voir un objet qui lui plaisait.

C'était sans doute son plus grand défaut. Elle était extrêmement timide, ne parlant jamais aux autres enfants quand elle était en cours ou dans la cour de récréation. Elle parlait très peu, et quand ses professeurs l'interrogeaient, elle rougissait, évitait leur regard et répondait d'une petit voix, n'osant pas hausser le ton. À cause de ces défauts, certains camarades de classe s'en donnaient à cœur joie. Si au départ, ce n'étaient que des vols d'objets ou de goûters, ce fut bien pire en grandissant. D'années en années, les garçons profitaient de plus en plus d'elle, ils la touchaient, et quand elle osait enfin hausser la voix, elle se faisait aussitôt frapper par ces derniers. Et pendant que les garçons s'amusaient avec elle, les filles recevaient une mauvaise image de Katherine, pensant que cela ne la dérangeait pas de se faire tripoter par les garçons. Ce qui était faux, bien entendu ! Elle ne le supportait pas.

Mais ce n'était pas le pire. Ces garçons la maltraitaient en permanence. Les insultes fusaient, mais en plus de briser son moral, ils la brisaient aussi physiquement. Coups de poings, gifles et brûlures de cigarette sur la peau, tout y passait. Katherine essayait tant bien que mal de cacher ses blessures. Elle ne voulait pas le montrer à ses parents. Elle était si chère à leurs yeux qu'elle ne voulait pas les décevoir. Alors elle subissait et se taisait. Mais ses parents voyaient bien que quelque chose n'allait pas chez la jeune fille. Elle qui n'avait jamais été bavarde, elle ne disait plus un mot. Quand elle rentrait chez elle, elle s'enfermait dans sa chambre, sanglotant le plus doucement possible, assez pour que ses parents ne l'entendent pas. Elle mangeait et dormait peu, et ses notes scolaires chutaient lentement mais sûrement.

À dix-sept ans, tout changea pour elle. Après une énième humiliation publique, un jeune homme d'environ dix-neuf ans s'était interposé entre elle et ses agresseurs. En quelques instants, ces derniers étaient tous à terre, et le jeune homme relevait Katherine, une larme coulant sur sa joue. Il avait le regard réconfortant et un gentil sourire. Ses yeux gris tranchaient sur sa peau brune, et ses cheveux sombres tombaient sur ses épaules. Il s'appelait Juan et il raccompagna la jeune fille chez elle tout en la consolant. Elle n'en croyait pas ses yeux, une personne était venue l'aider. Ce fut directement le coup de foudre. Les semaines suivantes furent les plus belles et les plus heureuses de toute sa vie. Elle avait retrouvé le goût de vivre, et ses parents avaient retrouvé leur fille. Katherine avait trouvé une personne qui l'aimait, et elle l'aimait aussi. Une lueur d'espoir naissait en elle...

Un jour, Juan invita la jeune fille à passer chez lui la semaine prochaine. Elle était anxieuse, car elle ne savait pas comment se comporter avec les garçons, et elle craignait de fiche en l'air tout ce qu'il y avait entre eux. Surtout que sa mère lui avait déconseillé d'aller dans le quartier du jeune homme. Il s'y passait plusieurs choses étranges, paraît-il, et elle était inquiète pour sa fille. Mais l'amour était plus fort que tout, et pour la première fois de sa vie, elle désobéit à sa mère. En fin d'après-midi, elle alla chez Juan. Ce dernier habitait au-dessus d'un garage, et c'est devant cet endroit qu'il l'attendait. Un léger sourire s'afficha sur le visage de la jeune fille lorsqu'il lui proposa d'entrer dans le garage. Confiante, elle entra mais s'immobilisa aussitôt. Deux autres hommes étaient confortablement installés dans le canapé. Torses nus, laissant voir leurs muscles et leur peau bronzée, ils avaient les cheveux noirs et le même air de voyou. Ils se ressemblaient énormément, à cette différence que l'un avait les yeux verts et l'autre les avaient noirs. Le premier jouait nonchalamment avec un briquet, et son voisin buvait une bière. Juan embrassa Katherine, joua avec ses cheveux, puis commença à lui caresser le corps. Il la déshabilla, résistant sans difficulté à ses faibles protestations, puis déboutonna son pantalon. Ses deux amis le rejoignirent, et la jeune fille sentit des larmes inonder ses joues. Son rêve s'était transformé en véritable cauchemar. Pendant plusieurs heures, la pauvre fut injuriée, battue, violée, brûlée, torturée et humiliée. Lorsque les trois hommes eurent terminé leurs affaires, la jeune fille gisait, tremblante, sur le sol froid du garage, le visage gravement brûlé, les cheveux presqu'entièrement calcinés, les bras et les jambes couverts d'ecchymoses et de plaies sanguinolentes, un filet de sang coulant entre ses jambes. Son ventre la faisait atrocement souffrir. La douleur ravageait son corps, bien plus que la honte ou le chagrin. Le trio masculin l'abandonna à moitié morte dans un fossé derrière un immeuble en ruine, sous une pluie torrentielle.

Un an plus tard, un jeune homme réparait sa voiture, devant un garage. Il referma le capot, et quand il se retourna, une terrible douleur explosa dans sa tempe droite. Il s'affala sur sa voiture, du sang inondant son visage. Il parvint à distinguer une fine silhouette en face de lui, coiffée d'une casquette d'où s'échappaient de courts cheveux blonds, et vêtue d'un jean noir et d'une longue tunique rayée grise et blanche. La personne tenait dans sa main gantée une clé à molette. C'était avec ça qu'il avait été frappé. Elle portait un masque de théâtre sur son visage, et ses pieds chaussés de lourdes bottes de cuir noir allèrent se loger dans les parties du jeune homme, qui tomba à genoux, le souffle coupé et sur le point de vomir. Une voix étouffée et familière lui parvint.

« Salut, Juan. »

Juan écarquilla les yeux, frappé par la surprise et l'horreur. La personne retira son masque, révélant un visage horriblement brûlé. Plus de paupières, presque plus de lèvres ni d'oreilles ou de sourcils. Les yeux et le nez avaient été le moins amochés. Le jeune homme considéra avec horreur ce visage affreusement déformé.

« Voici le fruit de ta cruauté, Juan. Je suis ton œuvre d'art. Et maintenant, une dernière question: te souviens-tu de moi? »

Et, sans lui laisser le temps de répondre, elle lui asséna un dernier coup, avant de remettre son masque.

Désormais, Katherine se fait appeler la Castigadora. Elle n'est là que pour tuer tous ceux qui l'ont fait souffrir, ainsi que ceux qui font preuve de cruauté envers les personnes sans défenses. Elle punit l'intimidation, la violence, l'humiliation et la discrimination. Elle châtie aussi les enfants désobéissants, afin qu'ils ne fassent pas la même erreur qu'elle.

Une mort rapide vaut mieux que des années de souffrance.


𝕻𝖆𝖓𝖉𝖊𝖒𝖔𝖓𝖎𝖚𝖒Onde as histórias ganham vida. Descobre agora