La Cabane du Chasseur

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Avant, j'aimais beaucoup me regarder dans les miroirs. Mais ça, c'était avant. Avant que je ne m'aperçoive que mon reflet ne reproduisait pas mes mouvements.


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Il avait passé l'après-midi sur la piste de la biche, et il n'avait pas remarqué que la lumière du jour baissait au fur et à mesure que la journée tirait à sa fin, ni l'absence de marquages sur les arbres et les rochers qui indiquaient les sentiers de randonnées avec lesquels il se repérait d'ordinaire. Lorsqu'il comprit que sa proie lui avait échappé, il envisagea de retourner chez lui. Mais en observant les troncs sombres des arbres, et leur épais feuillage qui altérait la lumière du soleil, plongeant la forêt dans une quasi-obscurité, il réalisa alors qu'il ne connaissait pas cette partie des bois. Il se fia donc à son instinct de chasseur, et tenta de trouver le Nord, malgré l'épaisseur des feuillages s'étendant tel un dôme de verdure au-dessus de sa tête. Il finit par renoncer et retourna sur ses pas, en espérant retrouver son chemin. Il tourna en rond dans la forêt de plus en plus sombre, et quand la nuit tomba et que les bêtes nocturnes sortirent de leur torpeur, le chasseur parvint dans une petite clairière, où se dressait, misérable, une vieille cabane en bois. Il balaya de ses yeux perçants la clairière déserte, et son regard s'attarda quelques secondes de plus sur la cabane. D'un pas assuré, il couvrit la distance qui le séparait de l'abri, et, une fois arrivé devant la porte, se retourna machinalement. Personne. Personne dans la clairière, personne dans la forêt, personne derrière lui, le surveillant, prêt à jaillir d'un buisson s'il s'avisait de pénétrer dans la cabane. Le chasseur leva le poing pour cogner à la porte, mais se ravisa en apercevant le battant de vieux bois grisé par le temps, entrouvert. Peu rassuré, il le poussa doucement et pénétra à l'intérieur. Une odeur de bois mouillé lui assaillit les narines, agrémentée de relents de moisi. La cabane comportait un sommier de bois sur lequel était posé un matelas souillé recouvert d'un plaid écossais taché, une table de bois bancale, deux chaises d'apparence fragile, et un gros fauteuil de cuir près d'une cheminée dont l'âtre froid contenait un énorme chaudron de cuivre. Derrière la porte, un seau renversé faisait office de toilettes. Le chasseur fronça le nez en apercevant la crasse et la poussière accumulées un peu partout. Un vieux blouson vert maculé de terre était suspendu à un crochet métallique près du lit. Le chasseur frissonna. Il avait faim, il avait soif, il avait froid et il était exténué. Ses yeux s'étaient accoutumés à l'obscurité, et la lumière de la lune l'éclairait suffisamment pour qu'il puisse distinguer l'intérieur de la cabane. Il ne trouva rien à manger, et regretta de ne pas pouvoir allumer de feu pour se réchauffer. Quant à apaiser sa soif, le seul liquide qu'il trouva fut une eau brunâtre dans un gobelet de bois. Dépité, le chasseur ôta ses bottes et son manteau, s'allongea sur le matelas et s'enveloppa dans le plaid en tremblant de froid.

La nuit était complète à présent, et la forêt résonnait de tous les bruits des animaux nocturnes qui partaient en chasse. Un vent léger s'était levé, faisant doucement bouger la porte de la cabane, grincer les murs de bois et frémir les feuilles des arbres, empêchant le chasseur de dormir. A tout cela s'ajouta bientôt un tambourinement régulier sur le toit de la cabane: la pluie. Le chasseur grommela et se tourna sur le côté droit. Les yeux grands ouverts, il observait la cabane silencieuse. Si jamais elle avait un propriétaire qui le découvrirait dans son lit le lendemain, il s'expliquerait avec lui, ça n'était pas plus compliqué que ça. Le chasseur plissa les yeux. Il venait de découvrir une série de quatre portraits, accrochés au mur face à lui. Il ne se rappelait pas les avoir remarqués en entrant. Et pourtant, les œuvres étaient d'un réalisme troublant, les visages grimaçants peints avec détail, bien que l'obscurité ne permît pas au chasseur d'en juger la qualité avec plus d'attention. Il discernait tout de même les sourires méchants, les regards narquois et les visages pâles. Un certain malaise commença à monter en lui, et il se tourna vers le mur. Il sentait les regards des tableaux posés sur lui, et son cœur battait la chamade. Au prix d'un effort surhumain, il parvint à s'endormir.

Il fut réveillé le lendemain par une clarté aveuglante, et des chants d'oiseaux. La pluie s'était calmée au cours de la nuit, et l'air frais matinal pénétrant dans la cabane embaumait les sous-bois, les fleurs et l'herbe mouillée. Le chasseur bâilla, s'étira, se frotta les yeux et se leva, décidé à quitter les lieux au plus vite. En chaussant ses bottes, il leva les yeux sur le mur d'en face. Il n'y avait aucun tableau accroché sur le mur. Uniquement des fenêtres.

𝕻𝖆𝖓𝖉𝖊𝖒𝖔𝖓𝖎𝖚𝖒Donde viven las historias. Descúbrelo ahora