La Fenêtre... La Fenêtre du Salon Jaune

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Elle se demande souvent pourquoi elle a deux ombres. C'est vrai que nos lampes n'ont qu'une ampoule chacune...

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Aujourd'hui, j'ai ouvert pour la première fois depuis un long moment la fenêtre du vieux salon jaune, dans le grenier. Pourquoi avait-elle été murée dans le passé? Personne ne voulait me le dire... Mais je savais que j'avais bien fait de l'ouvrir à nouveau. La vue que cette fenêtre nous offrait était magnifique. Et le grenier avait besoin d'être aéré. J'inspirais à pleins poumons l'air frais matinal.

Mon regard embrassait toute la propriété... Les terres de Lord Smith, mon père.

Mon père qui me méprisait... Mon père qui me haïssait... Mon père, cet ancien capitaine d'infanterie, qui ne supportait pas d'avoir pour seul héritier un rêveur sans ambition... Mon père que, de tout mon cœur, je détestais.

Voilà maintenant deux jours que j'avais ouvert cette fenêtre récemment descellée, mais je ne parvenais pas à me la sortir de la tête. Décidément, cette histoire m'intriguait... Pourquoi, mais pourquoi donc avait-on décidé de la murer? Elle n'avait pourtant rien de particulier, elle offrait une superbe vue sur le domaine, et elle permettait de faire rentrer l'air dans ce grenier qui puait le renfermé... Alors, pourquoi?

C'est en consultant le journal intime de mon grand-père qu'il m'avait remis peu de temps avant de mourir, quinze ans auparavant,qu'un élément de la réponse à la question que je me posais m'apparut.

J'ai enfin muré la fenêtre. Saleté! Impossible de s'y fier. Parfois elle retarde... Parfois elle avance!

Je méditais sur le sens de ces mots, qui, en apparence, ne possédaient aucune logique (on pouvait dire d'une horloge qu'elle avance ou qu'elle retarde, mais pas d'une fenêtre) quand un cri me tira de ma torpeur. Mon père venait de rentrer en trombe dans ma chambre, et semblait à deux doigts de me frapper.

-JOHN! Tu farfouilles encore, misérable avorton! Quand vas-tu cesser de lire tes livres inutiles, qui t'abrutissent plus qu'autre chose, et travailler?

Je me sentais sortir de mes gonds.Je dévisageais cet homme arrogant qui se comportait comme s'il descendait de la plus longue lignée de nobles de France, et serrais les poings.

-J'en ai assez ! criais-je. Cessez de m'insultez, ou je...

-PETER ! PETER ! beugla mon père, appelant son homme de main.

Ce dernier accourut, grognant et éructant comme un singe. Réconforté par la présence du larbin, mon père reprit confiance et, d'un air goguenard, me dit :

-Ou je? Ou je quoi, petit idiot? Tant que tu vivras sous mon toit, je t'insulterai et tu le supporteras, INCAPABLE! Tu ne seras jamais digne d'être un Smith! JAMAIS!

Frémissant de colère, je le regardais quitter la pièce d'un pas rageur, son chien de garde de Peter sur ses talons, et me jetais sur mon lit. Respirant longuement, je m'efforçais de chasser ma fureur. Mon regard se posa sur le petit journal intime de mon grand-père et les mots étranges revinrent trotter dans ma tête. Je tentais sans succès de leur donner un sens... "Parfois elle retarde, parfois elle avance." Ça ne voulait rien dire... Rien du tout...

Après une longue nuit sans sommeil, j'étais décidé à tout bonnement abandonner ce mystère. Mais ce fut après le petit-déjeuner, en aérant le grenier, quand je le compris enfin, ce satané mystère! En passant devant la grande fenêtre de la cuisine, j'avais aperçu cet animal de Peter dans le jardin, s'acharnant sur les plates-bandes... Quand tout à coup, il s'étala dans la boue, la tête la première... Se moquer de cette brute pouvant s'avérer dangereux, je montais pour cacher ma joie et allais m'enfermer dans le salon jaune.

𝕻𝖆𝖓𝖉𝖊𝖒𝖔𝖓𝖎𝖚𝖒Where stories live. Discover now