Ethan: "Abandonné"

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Je me demande ce que j'ai foiré, et je ne veux pas y croire. Je me fige et me mure dans un silence assourdissant.

Tandis que je la regarde s'apprêter à fermer cette putain de porte qui la séparera de moi dans quelques secondes, je hurle intérieurement.
Je voudrai la retenir mais je sais que je ne le dois pas. Ça irait à l'encontre de ce qu'elle souhaite. Et pour une fois, j'ai envie d'écouter ce qu'on me dit. Non, pas ce qu'on me dit, ce qu'elle me dit.

J'essaie de me raccrocher à notre dernier baiser et à ses dernières paroles "Je reviendrai".

Avec cette sensation d'écho flottant lorsque des mots sont prononcés suivis d'un long silence. Un silence interminable et douloureux.

Je prends ma tête entre mes mains comme si j'avais besoin de me raccrocher à quelque chose de vrai, quelque chose de palpable.

J'ai foiré, j'ai tout fait foiré.

Je me déteste plus que jamais à cet instant précis. La seule chose de bien qui me soit arrivée depuis tout ce temps, depuis toutes ces années. Et j'ai tout foutu en l'air avec mon passé sulfureux et mon attitude égoïste.

Oui, je veux la garder pour moi. Oui, je voudrai que plus personne ne puisse la toucher. J'ai été jaloux et possessif sans retenue et je le paie au prix fort.

Est ce que j'ai une faculté particulière à détruire ce qui m'entoure en m'autodétruisant au passage?
Moi qui pensais avoir vaincu les démons de mon passé... voilà que je suis rattrapé de plein fouet par tout cela.

Peut-être devrais-je partir quelques temps, m'isoler et repenser à tout cela quand cela me fera moins mal?

Le pire dans tout cela, c'est qu'elle a raison, je dois l'admettre. Elle ne me connait pas, et j'ai l'impression que moi non plus, je ne me connais plus.

J'ai eu l'impression d'être vraiment moi en étant avec elle. Là, tout était vrai, je ne jouais pas à un jeu. Et cette vérité m'a fait un bien fou.

Ça va être particulièrement difficile, mais je vais devoir patienter dans l'ombre, prendre du recul, travailler sur moi-même pour vaincre ces peurs qui remontent à mon enfance...

Mais si elle ne revenait pas?

Tandis que j'entends ses pas s'éloigner dans l'escalier pour ne devenir qu'un murmure inaudible, mon esprit fait un flashback, il y a sept ans. Je viens alors tout juste d'entrer à la Fac...

...

Minuit. Mon téléphone sonne. C'est un texto de Peter. 'Dépêche, tout le monde est là. 200 euros la mise" Avec un numéro de rue et une adresse.

J'écrase ma cigarette, j'enfile mon blouson noir en cuir épais, je prends mes clefs et je sors en vitesse de l'appart.

Ni une, ni deux, je saute sur ma moto.
Une superbe moto noire et rouge que j'ai entièrement retapée et j'en suis fier.
Pendant que je démarre, j'enfile mon casque intégral. J'ai un mental d'acier. A fond pour la compétition, prêt pour la course. J'adore cette sensation. C'est terriblement grisant.
J'accélère et je me sens enfin libéré. Je ne pense plus à rien. Je dois rester concentré. Gagner est mon unique objectif.

Alors que j'arrive au point de rendez-vous, l'adrénaline a pris possession de chaque parcelle de mon corps.

Peter m'accueille chaleureusement.

-Hey Ethan! Quoi de neuf mon pote!? Belle bécane mec.

- Salut Peter. Tiens voilà ton fric. (Je lui tends une liasse de billets roulée entourée par un élastique.) On est combien à prendre le départ ce soir?

- Huit ! Mais tu as toutes tes chances mon grand, comme d'habitude...

Je pose le pied par terre et 2 filles se précipitent vers moi. Une brune et une rousse, toutes deux vêtues plus que légèrement...

Ce genre d'endroit grouille de filles qui n'ont pas froid aux yeux. Ce n'est pas pour me déplaire. J'ai un peu plus de dix-huit ans et déjà pas mal de courses nocturnes à mon actif.

- Pas maintenant les filles, vous viendrez me récompenser quand j'aurai gagné ok?!
Je les toise du regard. Elles savent que j'ai raison, elles me tomberont dans les bras un peu plus tard. Je suis sûr de moi, sinon pourquoi participer à une course? Si ce n'est pour la gagner?

Je ne fais pas ce genre de course extrême pour l'argent, même si ça rapporte bien; je n'en ai pas besoin, je suis issu d'une famille très aisée. Je fais ça pour VIVRE. Je me sens vivre uniquement quand je repousse mes limites, quand je suis "borderline", quand je me dépasse.

C'est quand je flirte avec la mort que je me sens vraiment vivant.

Dans la vie, s'il y a bien quelque chose que j'ai compris, c'est qu' il n'y a pas de place pour les numéros "2".
C'est de la connerie tout ça. Seul le gagnant s'en sort. Et je veux être ce gagnant. Je suis ce type-là.

Et tandis que les autres motards se mettent sur la ligne de départ, j'essaie de me concentrer et de ne pas penser aux raisons qui font que je suis comme ça.

Mais je n'ai pas toujours été comme ça...

De réflexions en divagations, mon esprit me projette encore plus loin dans le temps. J'ai une poignée d'années, je suis tout gamin...

...
Elle nous a abandonnés. Elle est partie
Je ne lui pardonnerai jamais sa lâcheté et sa fuite. Ses valises dans l'entrée, j'entends encore les cliquetis de ses talons sur le parquet du hall d'entrée.
Mon frère et moi, crions et la supplions de rester. Mon père est à genoux. Dehors un homme attend dans une Aston Martin décapotable, cigare en bouche.
Sans sourciller, sans se retourner, elle nous quitte tous les trois pour le rejoindre. Le silence fracassant est entrecoupé par nos pleurs saccadés. Notre mère, notre mère nous a abandonnés...

Quelques années plus tard alors que j'ai 13 ans je tombe fou amoureux d'une fille, Hélène. J'aurai pu mourir pour elle. C'était la première fois que je m'autorisais à aimer quelqu'un depuis qu'elle est partie.
Quand Hélène m'a trahi, j'ai cru que le sol s'effondrait sous mes pieds. Que mon univers tout entier était absorbé par un trou noir. J'ai déprimé pendant six mois, quelque chose de sévère et j'ai bien mis un an à m'en remettre. J'allais de mieux en mieux mais au fond de moi, une faille subsistait.

Alors, je me suis donné à fond dans le sport et j'ai commencé à toucher à la mécanique, aux motos pour m'évader, pour arrêter de penser.

Contre toute attente, j'ai commencé à voir de la lumière dans toute cette obscurité autour de moi. Un horizon vivable se dessinait devant moi. Ça y est, j'en étais convaincu, je pouvais m'en sortir, je pouvais enfin respirer sans que cela me consume de l'intérieur.

A l'aube de mes 14 ans je me fis une promesse: ne plus jamais souffrir pour une fille. Ne plus jamais me laisser entrainer dans cette spirale destructrice.

Dés lors, j'ai abordé la vie sous un autre angle. J'ai repris le contrôle.
Je me suis senti devenir un peu plus fort chaque jour. Et tandis que je devenais de plus en plus puissant, j'effaçais de ma mémoire les souvenirs de ma mère et d'Hélène.

Je devenais celui que j'avais toujours voulu être. Celui qui ne souffrait pas de l'abandon des autres.
Peu importe le regard des autres, peu importe leurs sentiments. J'avais survécu, et mieux encore, j'allais SURVIVRE.



Évite Moi, si tu peux... (Terminée) Where stories live. Discover now