CHAPITRE 4

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Lundi, mon père commence son premier jour de travail. Lors du petit-déjeuner nous passons un dernier moment en sa compagnie. Je dois avouer que j'ai le cœur gros quand il nous serre une à une dans ses bras pour nous dire au revoir.

— Soyez prudentes les filles, je ne pars que quatre jours et pourtant vous me manquez déjà.

— Chéri, arrête, tu vas me faire pleurer.

Ma mère est une boule d'émotion qui menace de céder à tout moment. Le départ de son mari l'affecte beaucoup, et pour cause, mon père n'a jamais découché de la maison. Leur séparation hebdomadaire va être dure à digérer. D'ailleurs la souffrance de ma mère se fait déjà sentir dès mon père parti, car elle s'isole dans sa chambre sans dire un mot.

Combien de mois lui faudra-t-il pour accepter son absence, quatre jours par semaine ? À contre cœur, je la laisse se retrancher dans sa chambre pour qu'elle fasse, d'elle-même, le deuil de la situation. Nous avons fait tant de concessions, tant de sacrifices pour retrouver un semblant de vie, qu'il est difficile de se séparer d'un membre de la famille, ce noyau intime qui nous permet de tenir le coup. Nous avons atteint le seuil de l'effort maximal, si un autre problème devait nous arriver, je ne pense pas que ma mère puisse le surmonter.

Ma sœur et moi restons sur notre ordinateur en suivant nos amis sur les réseaux sociaux. J'apprends que Lysa part rejoindre sa grand-mère à New York pour les grandes vacances, et que Marley entreprendra un stage de danse classique à Paris, en France. L'écart se creuse entre nous trois, fragilisant peut-être notre amitié. Pendant combien de temps encore devrai-je me sevrer de ces deux-là ?

— Alors Jane, tu as prévu de faire quoi, toi, pour ces vacances ?

— À ton avis ?!

Son ton amer, me prévient que la réponse est évidente.

— Je ne sais pas !

— J'ai 16 ans, je suis paumée dans un trou perdu, coupée du reste du monde, sans un sou en poche et pas d'ami. Alors, d'après toi, qu'est-ce que je pourrais bien faire de ces vacances, à part tuer le temps ?

Ok ! Ce n'était peut-être pas la question à poser aujourd'hui, car ma sœur semble d'une humeur de chien à la répartie tranchante. Je ne m'étais pas aperçue à quel point Jane souffrait de cette situation, elle qui d'habitude est plus forte que moi.

Avant, ma sœur avait beaucoup d'amis, filles comme garçons. Elève très populaire, elle étudiait dans un lycée public, préférant se mêler au reste du monde. On peut dire qu'elle n'avait aucun mal à s'ouvrir aux autres, comparée à moi. Mais là, je ne la reconnais pas.

Physiquement, ma cadette me ressemble. Malgré nos deux ans et demi d'écart, pas mal de gens nous prennent pour des jumelles, même nos parents ont du mal à nous différencier, quand nous sommes de dos, à mon grand désespoir. Conformément aux californiennes de base, nous sommes blondes aux yeux bleus, ne dépassant pas les 1m70. Particularités de notre famille, nous avons tous les quatre les yeux en amande, et héritage de ma mère, notre visage est serti de petites taches de rousseur.

— Les gens sont plutôt sympas dans le quartier, si tu veux, demain je te présenterai à mes nouveaux amis.

— Mouais, on verra.

Quand Jane a une idée en tête, on peut dire qu'elle ne l'a pas ailleurs ! Nous sommes bâties dans le même moule, dont le patrimoine génétique se résume à la ténacité de ma mère et la pugnacité de mon père. Donc, je ne baisse pas les bras pour autant, en lui mettant la réalité en face.

— Tu devrais arrêter de te miner et de t'apitoyer sur ton sort, car je trouve qu'on s'en sort plutôt pas mal. Bon d'accord, on n'est plus riches, mais nous ne sommes pas les plus pauvres. Quand papa et maman recevront leurs premiers salaires, cela ira beaucoup mieux.

SantanaWhere stories live. Discover now