Chapitre 5

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On avait allumé un feu dans le coin de l'auberge locale. Son crépitement et sa chaleur n'étaient que bien peu de choses, d'un point de vue objectif, mais c'était là le moindre des fastes que l'on devait réserver aux éminents membres des Brigades Royales. A Aville, comme partout ailleurs à Balhaan, on ne pouvait pas imaginer les choses autrement : lorsqu'on recevait de telles légendes, on devait faire en sorte de rendre leur séjour aussi confortable que possible. C'était à ce titre qu'on avait pris la peine d'accompagner leurs montures jusqu'aux stalles réservées aux voyageurs ; à titre gratuit, évidemment. Puis le Bourgmestre s'était chargé de leur indiquer la marche à suivre afin de rejoindre l'auberge, où un bon repas n'allait pas tarder à leur être servi. Bien sûr, Nestor s'était chargé de tuer dans l'œuf l'invasive curiosité que ses administrés auraient pu nourrir à fort mauvais endroit : il s'agissait de ne pas incommoder les membres de la Huitième Brigade... aussi avait-il temporairement et formellement interdit l'entrée dans l'auberge aux habitants d'Aville ; ne s'y trouvaient donc que les soldats en question et, chose évidente, le personnel qui y travaillait habituellement.

Erik s'était emparé d'un oud qui trônait jusqu'alors piteusement sur un mur, oublié depuis belle lurette par les quelques mélomanes qui étaient susceptibles d'en jouer au sein d'Aville, et il tâchait d'extirper une mélodie harmonieuse de cet instrument poussiéreux et désaccordé. Ses camarades, quant à eux, avaient plutôt choisi de se répandre aux quelques tables qui peuplaient cette auberge en guise de mobilier vétuste. Jade s'était ainsi frayée un chemin jusqu'aux côtés d'Andrek, qu'elle affectionnait plus que de raison : elle, qui avait toujours été très attachée à sa famille, parvenait à trouver en sa présence rassurante l'aura d'un grand frère affable et fiable. Elle n'était pas seule, toutefois : elle avait déposé devant elle Laron, son Cydylaïn. Il s'agissait d'un porc-épic, manifestement banal, mais dont il valait mieux se méfier : il était en mesure de projeter ses épines sur de très longues distances... un atout considérable pour une si petite bête, qu'elle trimbalait dans une cage depuis qu'ils avaient quitté le Pic Zygos.

Elle jouait distraitement avec son familier, tapotant doucement son museau du bout de son index, lorsqu'une jeune femme se présenta à ses côtés, tout sourire ; Lani et Malir, assis à la même table, ne manquèrent pas de décocher à cette inconnue un regard amical pour la première, et relativement facétieux pour le second.

— Bonsoir ! Bienvenue Chez les Taulins ! Nous sommes honorés de vous accueillir !

— Merci, répondit aimablement Lani. Vous êtes ?

— Lily ! Je suis la fille du tenancier, Tony. Et lui, là-bas, c'est Sphinx, mon frère, fit-elle en désignant un jeune homme qui lui ressemblait.

L'un et l'autre arboraient la même chevelure d'un blond éclatant, et le même sourire avenant ; cela étant, lui tâchait de se donner une carrure plus imposante, plus virile, en dressant son buste et en écartant les épaules jusqu'à la caricature. Cherchait-il à taper dans l'œil de Lida, dont il espérait sans doute qu'elle le désignerait comme futur membre de leur escouade ? Si tel était le cas, c'était peine perdue : non seulement les commandants des Brigades n'avaient pas le pouvoir de désigner leurs nouvelles recrues, mais en plus l'Indestructible était bien assez à cheval sur les procédures pour ne prendre aucune liberté de cet acabit.

Dans l'auberge, outre les membres de la Brigade et les deux serveurs, on pouvait également trouver deux animaux, sans aucun doute les Cydylaïn des jeunes employés : une perruche, perchée sur l'épaule de Lily, et un chat, qui courait régulièrement entre les pattes de Sphinx sans jamais risquer d'entraver ses mouvements. Ici, comme partout ailleurs, chacun voyait le jour au côté de ce compagnon animal qui ne les quitterait qu'à la mort...

Le Royaume de BalhaanWo Geschichten leben. Entdecke jetzt