Chapitre 100

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D'un geste enragé, circulaire, elle tenta une fois de plus de lui trancher la carotide, mais se heurta à sa parade, adroite, preste, sublime. Il fit tinter l'acier une fois de plus, lorsqu'elle revint à la charge dans une pirouette fluide, la chaleur qui émanait perpétuellement d'elle continuant à envahir les environs par le biais d'ondulations successives ; de grosses gouttes commençaient à perler sur son illustre front, mais il tâchait de demeurer de marbre, comme si l'inconfort qu'il ressentait ne faisait rien qu'entretenir la flamme de sa combativité. Et c'était sans doute le cas : depuis que l'Oracle et Amara avaient repris leur danse mortifère là où ils l'avaient laissée, le Saint homme n'avait eu de cesse de la tenir en respect, sans pour autant parvenir à se gausser des efforts opiniâtres de la jeune femme. Elle manquait d'expérience, à n'en pas douter, et se laissait probablement trop emporter pour son propre bien... mais elle ne manquait ni d'adresse, ni de talent. Son chakram, arme insolite s'il en était, parachevait un tableau des plus maîtrisés ; tous ses atouts pouvaient lui permettre de prendre ses opposants par surprise, et elle en usait, en abusait autant que possible, dans un festival de gestes, d'offensives, de taillades littéralement étouffantes. Alors, certes, après le déluge de coups qu'avaient incarné les commandants Lida et Nakata, ce n'était guère plus qu'un jeu d'enfant que de la tenir en échec ; mais l'Oracle savait qu'un affrontement se prolongeant de trop face à elle risquait de lui coûter cher.

Risquait de lui coûter la vie, même, compte tenu du fait qu'elle serait prompte à le liquider s'il lui laissait la moindre opportunité à saisir au vol. Vengeresse, elle l'était. A l'instar de ses flammes, il ne la voyait pas opter pour un moindre mal, pour la médiation, pour la tempérance. Elle était parfaitement en adéquation avec ce pouvoir incommodant.

Cette ironie ne manquait pas de l'amuser au plus haut point. 

— Je vais te faire bouffer ton sourire, enfoiré ! beugla-t-elle en renchérissant une fois de plus.

— Infatigable, railla-t-il de sa voix grinçante. Nous dansons trop, gente dame ; mes vieux os protestent.

La provocation fit mouche ; elle laissa échapper un juron, frappa une fois de plus, le contraignant à céder encore un peu de terrain. Fort heureusement pour lui, la rue s'enfonçait loin, très loin dans son dos ; et puisqu'elle était parfaitement inoccupée, si toutefois on acceptait d'omettre Sora et Silvia de cette confrontation à tout le moins intense, il ne manqua pas d'en tirer profit par le biais de bonds énergiques. Elle lui emboîta le pas, jusqu'à ce que, d'un coup de talon, il n'ouvre le sol qui se trouvait devant lui en deux. Des tentacules décharnés jaillirent de toute part, menaçant de se saisir d'Amara afin de l'immobiliser ; elle rugit, libérant une vague de chaleur telle que les invocations préhensiles de son opposant fondirent l'une après l'autre.

— A mon tour ! clama Silvia en profitant de cette entracte pour surgir, bouclier en avant.

Sa charge furibonde la porta promptement au contact de l'Oracle, qui comprit immédiatement qu'il valait mieux, pour lui, éviter de subir cet assaut frontal. D'un geste de la main, il attrapa les airs comme s'il s'agissait d'un rideau tangible ; il étira sa prise sur le côté, semblant toujours davantage déformer l'atmosphère... et Silvia, qui s'apprêtait à le percuter, sentit inexplicablement sa trajectoire se détourner. Elle termina sa course dans le décor, dans un bâtiment proche, à quelques mètres de là, dans lequel elle s'encastra sans la moindre délicatesse, faisant voler un pan de son mur en éclats.

— Silvia ! s'inquiéta Sora en fronçant les sourcils.

— Ne t'en fais pas, je vais bien, répliqua-t-elle en bougonnant et en se redressant, vaguement humiliée. Reste en retrait, continue à nous couvrir !

Le Royaume de BalhaanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant