Chapitre 74

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La nuit tombait doucement sur leur campement de fortune. On avait défini les tours de garde et Akis, qu'on avait chargé, avec Andrek et Malir, de veiller sur les horizons le premier, profitait du feu crépitant qui leur permettait de braver le froid. Bien sûr, le climat n'avait, à ces altitudes clémentes, rien de commun avec la rigueur austère qu'imposait le Pic Zygos... mais chaque nuit était fraîche, en cette période de l'année. Il aurait aimé s'enfouir sous les couches de peau qui leur servaient de couvertures en même temps que l'immense majorité de ses pairs, mais il se satisfaisait bien assez de l'idée d'avoir l'opportunité de dormir d'une traite une fois son labeur accompli. A ses côtés, ses deux amis semblaient partager le même point de vue.

Ils avaient quitté la forteresse dès le lendemain de la venue d'Istios. Il n'y avait plus rien pour eux, au pied du Pic Zygos. Ils avaient néanmoins pris le temps d'adresser un dernier salut à leurs quatre compagnons inhumés, sachant que certains d'entre eux risquaient fort de ne jamais revenir de ce périple-ci. Tous, peut-être, seraient condamnés à pourrir dans une fosse commune une fois éliminés par les loyalistes du Roi et de l'Oracle... Cet ultime voyage, il leur fallait le réaliser au plus vite ; avant, si possible, que les Brigades Royales installées au sud du pays n'aient eu le temps de rallier Corgenna. Cela avait finalement été le parti pris de Nakata, de Dixan et d'Erik : forcer l'allure pour prendre leurs opposants de court, en les empêchant de s'organiser trop efficacement. C'était probablement un espoir illusoire, dans la mesure où Istios leur avait sans doute été expédié au moment où l'Oracle et le Roi l'estimaient judicieux... mais ils n'avaient pas d'autre choix, de toute manière, que celui de s'en remettre à leur bonne fortune.

Cette précipitation dans leur quête de réponses, en revanche, ne se faisait pas tout à fait inconsidérément. Ils avaient pris la décision d'éviter soigneusement la grand-route, où leur présence ne pouvait pas demeurer inaperçue bien longtemps. Certes, cette précaution de couper à travers champs ou de privilégier des sentiers moins fréquentés par les voyageurs de toute nature ne serait pas utile jusqu'au terme de leur voyage, mais au moins les troupes du Roi devraient-elles s'adapter à leur approche au tout dernier moment ; là encore, l'idée était de ne rien faire qui pourrait simplifier le travail de leurs potentiels adversaires.

Quant au reste, aucune stratégie sagace, aucun plan infaillible n'avait encore été mis en œuvre pour tenter de les protéger de toute menace susceptible de les faucher violemment. Il leur fallait, après tout, s'en prendre à une place forte défendue par des individus aux compétences hors normes ; dans un tel contexte, les petits artifices qui avaient pu leur permettre de pousser les soldats kalois à prendre la poudre d'escampette ne seraient d'aucune utilité. Même si Akis passait pour un soldat invulnérable et aux compétences dantesques, leurs ennemis tâcheraient de lui répondre avec une fougue écrasante... son inexpérience et ses maladresses, dès lors, auraient promptement raison de lui. L'idée de Dixan était donc plutôt de profiter de son talent, encore tenu secret, pour damer le pion des premiers ennemis qui pourraient être tentés de leur tomber dessus. Avec un petit peu de chance, une première victoire de leur part leur conférerait un ascendant psychologique conséquent pour la suite des opérations... et, par miracle, leur attacherait peut-être la loyauté de certains de leurs pairs, si ceux-ci se rendaient compte que leur cause n'était pas forcément perdue d'avance.

— Si... Si on survit tous à ça, et qu'on revient au Pic Zygos victorieux... Vous ferez quoi, vous ? demanda Malir à voix basse en brisant le silence religieux qui s'était naturellement imposé.

— On ferait quoi, c'est-à-dire ? l'interrogea Andrek, vaguement intéressé.

— Après. Après les combats... Si tout ça se termine bien pour nous, je crois... je crois que je raccrocherai. Enfin, ça dépendra de l'état du pays, bien sûr, mais... Si on n'a plus besoin de nous... J'aimerais bien me poser quelque part. Sur la côte, sans doute...

Le Royaume de BalhaanWhere stories live. Discover now