Chapitre 26

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Guidé par les pas vigoureux de Lida, Akis retrouva Lani et Malir. Si la première se fendit à son adresse d'un simple sourire soulagé, le second, inévitablement, le moqua quelque peu et le chahuta en insistant sur sa faculté spectaculaire à toujours tout mettre en œuvre pour compliquer les situations dans lesquelles il se trouvait placé. Mort de honte, le rouquin ne trouva rien à répondre et se contenta d'endurer jusqu'à ce que Rolan ne pointe à nouveau le bout de son nez, aux abords de la Gargouille Bleue qu'ils allèrent occuper sans plus tarder. La taverne les accueillit avec une générosité certaine. On leur offrit le repas, dont ils se délectèrent sans plus attendre. Une tourte aux poissons succulente succéda ainsi à une soupe d'algues, un plat qui, importé tout droit de l'autre côté de la mer, grava sur les papilles du natif d'Aville ses parfums insolites. Le fromage de chèvre qu'on leur servit accompagné de quelques tranches d'un pain encore croustillant fut assurément plus commun, enfin, que les bananes et autres figues grâce auxquelles ils purent parachever ce festin via une touche de sucré.

Ils s'en furent ensuite, sans plus tarder, soucieux de ne faire attendre personne, et encore moins l'auguste Oracle qui les avait fait quérir. Akis, repu, eut toutes les peines du monde à suivre la cadence militaire qu'instaurait sa supérieure ; mais il l'endura et parvint finalement à demeurer à la hauteur de ses compagnons, qu'il n'osait plus quitter des yeux de peur de s'égarer une fois de plus. Ce ne fut qu'après une bonne demi-heure de marche que l'Esplanade de l'Oracle leur ouvrit à nouveau ses portes.

Ce fut la première fois depuis le début de son existence qu'Akis eut l'opportunité de détailler une colonne de soldats forte de plus d'une centaine d'hommes. Cette cohorte lourdement armée prenait vraisemblablement ses ordres auprès de Charles, le père de Jade, qui souhaitait renforcer la garde de la zone pendant que les Brigades s'y réunissaient solennellement. Le Royaume de Balhaan était un Royaume sûr, et nul être sain d'esprit n'aurait eu l'idée saugrenue d'attaquer ce lieu de culte historique et politique au moment même où les dix formidables Brigades s'y rejoignaient ; mais il était en revanche possible que certains espions ne cherchent à y laisser trainer leurs esgourdes. Corgenna était une ville commerçante par laquelle transitaient de nombreux marchands étrangers... Nombre d'entre eux auraient payé cher pour pouvoir mettre la main sur une information sensible à transmettre à leurs souverains. Les récompenses ostentatoires pouvaient pleuvoir, dans ces circonstances exceptionnelles.

— Vous voilà, les accueillit Sora avec un sourire enthousiaste. Alors, Corgenna, t'en as pensé quoi ?

— Je... C'est que... J'ai pas vraiment eu le temps de visiter...

— Il s'est perdu, vendit la mèche Malir en ricanant.

— La matinée ne t'a pas souri non plus, on dirait, répondit Sora dans un rire jaune tout en se massant une épaule manifestement ankylosée.

— Il a insisté pour s'entraîner avec Sylas, les éclaira Amara. Il s'est fait botter le cul.

Le chevalier silencieux le demeura majestueusement ; et le dixième membre de la Brigade se fendit d'un soupir tandis que Malir se moquait allégrement de son audace. Lorsqu'on s'entraînait, au sein de la Huitième Brigade, et qu'on faisait partie du bas de tableau, on veillait scrupuleusement à toujours s'adresser aux mêmes combattants, ceux qui étaient susceptibles de faire montre de la plus grande patience, de la pédagogie la plus soucieuse, la plus bienveillante. Ainsi, Erik et Silvia étaient de formidables maîtres d'armes ; faute de mieux, Rolan pouvait convenir, dans la mesure où il était certes plus intraitable que les deux autres, mais également plus fin que Lida et Sylas. Ces deux derniers bretteurs, assurément exceptionnels d'un point de vue personnel, étaient envers et contre tout de désastreux formateurs ; en cela qu'ils ne se souciaient pas de la douleur qu'ils causaient, dans la mesure où ils partaient du principe qu'aucun ennemi digne de ce nom ne pouvait ignorer une faille exploitable dans la défense d'un combattant adverse sous prétexte qu'il risquait une douleur âpre. Le sens de la mesure, selon eux, n'avait pas sa place sur le terrain d'entraînement.

Le Royaume de BalhaanWhere stories live. Discover now