Chapitre 32

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Le reste de la journée se déroula avec une infinie lenteur. Chaque seconde semblait s'étirer davantage encore que la précédente, et cela conférait à la présence d'Oscar sur les épaules de l'ingénu une lourdeur d'autant plus accrue. Le moindre des frémissements du caméléon lui déchirait le cœur et gonflait ses yeux de larmes ; mais il les ravalait, immanquablement, inlassablement, en continuant à œuvrer là où on estimait avoir besoin de lui. Ainsi, il continua à déblayer les remparts meurtris de la forteresse avant de s'en aller en cuisine, où les couteaux s'abattirent sur les oignons et les pommes de terre avec d'autant plus de fermeté. Il n'échangea plus avec les autres apprentis ; à la vérité, il n'échangea plus avec quiconque ce jour-là, préférant le goût amer de la solitude à celui, assurément plus salé, de la fuite en avant commune. Ses compagnons eurent le bon goût de comprendre ses sentiments d'instinct ; aussi se contentèrent-ils de le gratifier de quelques sourires peinés, ou de quelques tapes aimables sur le bras à chaque fois qu'ils passaient à sa hauteur.

Même Keylan et Sylas semblèrent s'adoucir un petit peu, en cette fin de journée. Le premier se contenta de poser sur Akis son regard incommodant avant de tourner les talons de lui-même, semblant estimer qu'un seul calvaire était bien assez pour un garçonnet aussi pataud. Dans les prunelles du second, le rouquin crut déceler l'espace d'un instant infime un simulacre de bienveillance ; mais lorsque ses paupières papillonnèrent, il constata que ce sentiment timide avait été chassé vigoureusement et qu'il ne restait, sur le visage de Sylas, guère plus qu'une froide cordialité.

Enfin vint l'heure du repas ; et, par extension, l'heure prochaine du choix. Akis savait que Lida n'exigerait pas d'eux qu'ils défilent l'un après l'autre afin de confirmer qu'ils souhaitaient prolonger leur périple avec le reste des membres de la Huitième Brigade. Par bienséance, la commandante allait probablement leur épargner cette peine-là... En revanche, s'il souhaitait s'en retourner à Aville, il lui faudrait aller chercher la combattante émérite au plus vite, de manière à le lui signaler. En somme, la passivité reviendrait au mieux à de la résignation... et à la fin d'Oscar.

Les couverts s'entrechoquèrent dans un silence de plomb. Seuls Lani, Malir et Sora semblaient avoir l'ambition de troubler un peu la morosité ambiante ; mais même eux capitulèrent en constatant que nul n'avait le goût des plaisanteries, ce soir-là. Andrek aussi faisait pâle figure ; le visage orienté vers le gruau qu'il peinait à engloutir, il n'était plus que l'ombre de lui-même. Finalement, on débarrassa la table prématurément, alors que la majorité des membres de la Brigade n'avaient pas fini leur assiette respective ; puis on eut quartier libre, et Lida alla s'installer dans son bureau où elle attendit patiemment que les apprentis démissionnaires viennent lui annoncer leur décision.

Dès les premières minutes qui succédèrent au repas, Akis s'orienta dans les couloirs sombres afin de s'en retourner à sa chambre, où il se calfeutra avec angoisse. Son anxiété s'était développée au point de lui grignoter la totalité des entrailles ; il sentait que sa respiration saccadait sous l'effet de ce poids monstrueux qui alourdissait son estomac, sentait que ses muscles se tendaient d'instant en instant. Allait-il finir par se pétrifier de lui-même afin de fuir ses responsabilités, les implications de son choix ? A cet instant encore, sa décision n'était pas prise. Finalement, il s'allongea à grand-peine dans sa couche, alla s'enfouir sous la pléthore de couvertures et de peaux qui y étaient étalées, plaça Oscar devant son oreiller et le dévora d'un regard larmoyant. Le Cydylaïn, qui n'aurait habituellement pas perdu la moindre occasion de causer quelques tourments à son Cydymisen, et qui aurait par conséquent dû tenter d'encorner l'un de ses yeux par le biais d'une charge désopilante et grotesque, s'en tint à un immobilisme coi.

Avait-il compris ce qui se jouait actuellement ? Ou les liens qui l'unissaient inexplicablement à Akis lui permettaient-ils de percevoir des bribes des sentiments déchirants qui le tourmentaient tant et tant ? Ces questionnements hautement théoriques, auxquels Maître Torvin lui-même n'aurait sans nul doute pas eu la moindre réponse à formuler, bouillonnèrent dans l'esprit candide du jeune homme pendant une poignée d'heures ; puis ses paupières, de plus en plus accablantes, en vinrent à se clore d'elles-mêmes. Il sombra dans le sommeil sans avoir rendu visite à Lida, mais sans avoir la conviction, pour autant, que la décision qu'il prenait par défaut était la bonne.

Le Royaume de BalhaanWhere stories live. Discover now