Chapitre 77

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Les longues pérégrinations qui les séparaient de Corgenna devaient s'avérer aussi promptes que possible ; aussi les escales furent-elles rares, à partir du moment où Lupinova fut jetée loin derrière eux. Leur cohorte s'autorisait bien sûr nombre de pauses, ne voulant pas négliger l'impact considérable que pouvait avoir une mauvaise fatigue traînée sur trop de lieues, mais elles étaient régulièrement abrégées par la volonté de Nakata de toujours demeurer en mouvements. Ils devaient partir du principe que leurs ennemis s'attendaient à leur approche, et qu'ils seraient découverts bien avant d'avoir réussi à franchir les remparts de la fabuleuse capitale... Mais ils devaient aussi et surtout faire en sorte de minimiser le nombre d'embuscades qu'on serait susceptible de leur tendre au maximum. S'ils traînaient des pieds en chemin, les Brigades auraient l'opportunité de s'organiser et, sous la houlette de l'Oracle, de coordonner leurs mouvements pour leur tendre un piège inextricable. C'était intolérable.

Leurs discussions plus détendues et plus légères avaient permis à Amara de s'apaiser quelque peu. Elle bouillonnait toujours de hargne, bien sûr, en pensant à Kaster et aux ordres aussi éventuels qu'impitoyables qu'avaient pu lui souffler l'Oracle, mais elle estimait à juste titre qu'il était nauséabond de reporter sa mauvaise humeur sur ses partenaires, eux aussi victimes des souffrances qui la harassaient tant et tant. Silvia et Sylas eux-mêmes semblaient avoir pris la mesure dangereuse de leur situation commune ; ils étaient plus prompts à parler d'eux à leurs compagnons, comme s'ils sentaient qu'on pouvait tout aussi bien les oublier dans un délai des plus brefs. La ligne était fine, entre existence et néant...

Et c'était justement cette question qui prédominait céans, filant d'un esprit à l'autre avec la maligne intention de nouer autant d'estomacs que possible. Combien d'entre eux y survivraient ? Y en aurait-il seulement qui survivraient, d'ailleurs ? Quel sort réserverait-on à Lida, à Jade, à Rolan ? Il était hautement improbable que l'Oracle entende raison, choisisse la voie de l'apaisement alors qu'il devait être responsable, d'une manière ou d'une autre, de la mise à mort de Lani et de Nilly. Par dessus tout, il était impossible pour la Huitième de livrer Nakata en priant pour que cela suffise à éteindre le feu croissant des ripostes vindicatives. En somme, il semblait que leurs positions étaient incompatibles, et que la seule issue tangible était l'anéantissement de l'un ou de l'autre des deux camps. Une querelle intestine à Balhaan qui se règlerait dans le sang, et dont les perdants, à n'en pas douter, seraient tenus pour uniques responsables...

Les talents d'Andrek leur avaient été bien utiles, à maintes reprises. Grâce à son odorat, il avait pu orienter leur course pour éviter qu'ils n'aient à croiser quiconque, dans le doute qu'il puisse s'agir de soldats ou bien de commerçants trop bavards. Ils avaient eu l'idée de voyager déguisés, en imaginant qu'on pourrait aisément les confondre avec une bande de mercenaires en mission ; sauf qu'il était tout à fait possible que des vagabonds les reconnaissent. Les Brigades n'avaient pas pour habitudes de voyager discrètement, et, avec le temps, les individus qui arpentaient le plus les routes du Royaume avaient appris à les reconnaître...

A mesure qu'ils approchèrent de Corgenna, toutefois, Andrek sentit que son utilité allait commencer à s'étioler. Il était de plus en plus complexe de démêler les odeurs qui s'entrelaçaient et commençaient à le harceler. Il y avait trop de voyageurs et trop de locaux pour se balader sur le moindre chemin, la moindre piste, la moindre impasse... Tout était marqué du sceau de l'odeur humaine, jusqu'au cœur des forêts où se terraient les rares bandits du Royaume de Balhaan. Il n'était donc plus en mesure de garantir qu'ils ne finiraient pas par tomber, par erreur, sur un marcheur isolé ou sur un petit contingent de soldats ; et son manque d'adresse, à imputer directement à son inexpérience, était toute pardonnée du point de vue de ses pairs.

Le Royaume de BalhaanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant