Chapitre 102

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La bataille livrée aux abords de l'Esplanade de l'Oracle avait changé de visage... et c'était encore peu de le dire. La Quatrième Brigade Royale de Balhaan avait ceci de profitable qu'elle était fraîche, qu'elle avait jusqu'à présent été épargnée par les conflits. Les soldats de terre de Vivel, innombrables, ne leur posaient pas de véritable problèmes ; et les subordonnés en chair et en os de la jeune commandante tâchaient pour l'heure d'éviter leurs offensives sans jamais prendre l'initiative d'y répondre vertement. En l'état, Aiz et les siens étaient donc en train de semer un carnage formidable, de réduire à peau de chagrin le nombre des soldats factices dont leurs véritables opposants s'étaient entourés. Il allait sans dire que ce spectacle ne s'éterniserait pas indéfiniment... mais en attendant qu'on ne leur pose des problèmes plus concrets, les subordonnés du colosse profitaient de cette opportunité pour s'échauffer.

En retrait, Jade et Erik observaient la lutte se dérouler avec des sentiments à tout le moins mitigés. Ils n'appréciaient pas trop l'idée d'être ainsi relégués à des rôles de soutiens, très secondaires. Loin de la confrontation, ils savaient qu'ils ne pourraient pas intervenir dans la seconde si un événement impromptu devait avoir lieu... mais ils comprenaient aussi qu'ils n'étaient pas nécessairement assez en forme pour embrasser une fonction plus active au sein de cette bataille rangée. Erik était proprement à bout de force, et son souffle, encore haché malgré quelques longs instants de récupération, laissait à entendre qu'il ne serait plus très longtemps en mesure de déployer son pouvoir avec toute l'efficacité qu'on lui connaissait à l'accoutumée. Quant à la demoiselle, elle était certes plus alerte et énergique que son aîné, mais sa captivité ne l'avait pas épargnée pour autant. Elle se sentait faible, n'était pas convaincue de pouvoir poursuivre sur le rythme précédent jusqu'au bout de la nuit.

Il était plus sage, pour l'un comme pour l'autre des deux subordonnés de Lida, de s'en tenir à un simple rôle de spectateur en attendant qu'on ait réellement besoin de leurs talents.

Ce moment ne semblait pas prêt à se présenter à eux, toutefois. Aiz progressait au sein des troupes ennemies avec une aisance stupéfiante, comme on pouvait s'y attendre. Il était officiellement considéré comme le commandant le moins puissant du Royaume ; mais en le voyant batailler aussi fiévreusement, après, en outre, être venu à bout d'un Aristof diminué mais pas démuni de mordant, Erik songeait qu'il avait, comme bon nombre d'entre eux, drastiquement progressé au fil des dernières péripéties les ayant éprouvés.

Et puisque rien ne semblait en mesure de pouvoir entraver ses membres démesurés et surpuissants, l'Orphelin parvint bientôt à entrapercevoir une silhouette qu'il cherchait du regard depuis le début de ce combat ; au niveau des dernières lignes formées par leurs ennemis se tenait Vivel, droite, impérieuse, sa masse gargantuesque au repos sur son épaule droite. Elle aussi était dotée d'une forme ahurissante... mais elle ne jouait pas, dans ce registre, dans la même cour qu'Aiz.

Alors le géant n'hésita pas l'ombre d'une seconde : s'il réussissait à la vaincre, la totalité de ses soldats d'argile s'effondreraient comme autant de châteaux de sable. Renvoyés à l'état de poussière, ils seraient bien incapables de couvrir les frasques, les déplacements, les agissements des sous-fifres de la jeune femme ; ses propres camarades seraient alors en mesure de leur barrer la route, de les surclasser... de les évincer de cette lutte insensée.

Ce serait le début de la fuite de la Brigade menée par la redoutable Vivel ; ne demeureraient alors, pour s'opposer à leur contingent, que celles d'Ajima et d'Amilista. Une bonne vingtaine d'individus certes surpuissants, certes triés sur le volet... mais bien incapables de boucler la totalité de la cité, ou de battre l'entièreté de la campagne du Royaume une fois qu'ils auraient sauvé Lida, et qu'ils entreprendraient de déserter la capitale au pas de course. Cela leur conférerait bien assez de temps pour retrouver les subordonnés de Dixan ; et, en unissant leurs forces, ils pourraient réinvestir Corgenna et contraindre le Roi ainsi que l'Oracle à les recevoir.

Le Royaume de BalhaanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant