Chapitre 103

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Le gigantesque geyser retombait tout juste que son coup de poing couvert d'écailles fit voler en éclats la tête de l'un des pantins ; dans son dos, deux d'entre eux se murent, essayant de se rapprocher de lui pour se saisir de lui, l'immobiliser et lui porter, sans doute, quelques coups virulents. Akis ne s'en inquiéta nullement. D'une part parce qu'il savait que ces créatures n'étaient, en tant que telles, pas très dangereuses. C'était surtout leur nombre qui avait contraint les trois membres des Brigades à perdre du temps pour s'occuper de leurs cas... D'autre part parce qu'il n'était pas seul à batailler au sein de cette rue dorénavant chaotique. Et si Charles Delistel ou Rolan avaient été forcés et contraints de s'en tenir à un rôle plutôt secondaire, ne disposant pas d'armes susceptibles de fracasser ces créations arboricoles en un tournemain, il en était une qui demeurait nettement mieux taillée pour un devoir de cet acabit.

Alors que rien ne le laissait présager, le sol commença à se craqueler sous les pieds du premier des deux pantins. La gueule gigantesque d'un crocodile gargantuesque s'extirpa des pavés et se saisit des deux silhouettes végétales à la fois. Après les avoir broyées et secouées jusqu'à ce qu'elles se répandent alentour en une pluie d'échardes, la gueule s'extirpa du sol pour de bon, suivie de près par un corps féminin, bien humain. La tête d'Emilia reprit forme humaine en crachant les quelques morceaux d'écorce qui étaient restés nichés au creux de ses dents ; voilà qui mettait un terme aux créations agaçantes de l'Oracle, à leur résistance opiniâtre. Akis soupira de soulagement et s'épongea le front d'un revers du bras gauche ; toute cette agitation commençait sérieusement à l'épuiser... Pourtant, l'heure de la sieste ne semblait pas prête de sonner.

— Hâtons-nous. Je ne voudrais pas qu'on prenne le risque de les laisser l'affronter seuls plus longtemps, se dépêcha de dire un Rolan des plus agités.

Il n'aimait pas l'idée d'être relégué à un rôle de second plan. Ces pantins l'avaient empêché de s'avérer décisif, voire utile ; il était grand temps qu'il se mouille un petit peu plus, a fortiori si cela pouvait décharger ceux qui avaient bravé tous les dangers pour venir le sauver des innombrables fardeaux dont ils étaient accablés. Akis lui-même avait bien mûri, nul ne pouvait en disconvenir, mais le quadragénaire demeurait envers et contre tout le second de Lida, en terme hiérarchique. Il ne pouvait pas se contenter de laisser agir les jeunes pousses de leur escouade... Il avait encore à leur apporter. Il fut néanmoins coupé dans son élan par un cri, porté par une voix qui leur était plus que familière. Tous pivotèrent pour faire face à l'arrivée de Sora, de Silvia, et d'Amara.

— Rolan ! Akis ! On est là !

Si le soulagement fleurit sur leurs visages, dans un premier temps, les deux principaux intéressés et les deux combattants présents à leur côté ne manquèrent pas de déchanter en observant qu'Amara était inconsciente, déposée sur l'épaule d'un Sora livide. Silvia, quant à elle, était désarmée. Ainsi dépossédée de son fidèle bouclier, sa silhouette semblait bien plus gracile ; et son expression catastrophée ne permettait en aucun cas de gommer cette impression sinistre.

— Que s'est-il passé ? s'enquit Rolan en se rapprochant promptement de leurs camarades tandis que Sora déposait Amara précautionneusement.

— Amara... Il lui a volé son pouvoir, répondit Sora en reprenant péniblement son souffle. On ne sait pas comment c'est arrivé, mais... Elle a perdu conscience à ce moment-là, et... Il a commencé à brûler sans que cela ne le blesse.

— Je n'ai rien pu faire pour l'en empêcher. J'ai... Si honte, déplora Silvia en se mordant la lèvre de frustration.

Décontenancés, les quatre autres combattants échangèrent un regard dubitatif avant que Rolan, par le biais de son pouvoir, ne revive les péripéties vécues par leurs trois camarades au travers des souvenirs encore déboussolés de Sora. En constatant qu'ils disaient vrai, le second de Lida prit conscience des vertigineuses conséquences qu'un tel fait pouvait engendrer. Il était néanmoins trop tôt pour accoucher de conclusions ; en outre, paniquer ne pouvait en aucun cas leur être profitable. Ils allaient devoir procéder par étapes, s'ils voulaient s'éviter de sombrer pour de bon dans le désespoir...

Le Royaume de BalhaanWhere stories live. Discover now