Chapitre 75

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Akis, Andrek, Malir et Silvia allèrent finalement se coucher, quelques heures plus tard ; la guerrière les avait accompagnés sur l'ensemble de leur tour de garde, et entendait bien honorer son propre service à la faveur du petit matin, mais en attendant, c'étaient d'autres de leurs pairs qui allaient devoir prendre leurs responsabilités. Ainsi Amara, Satin et Kurl furent-ils tirés du sommeil ; ils se levèrent en silence et se rendirent aux abords du feu du camp qui crépitait encore, à quelques mètres de là, et que la jeune femme s'employa à raviver par le biais de son pouvoir, indéniablement utile dans de telles circonstances. Une fois cela fait, tous trois prirent place dans un silence de mort ; Satin tâchait de parcourir un ouvrage poussiéreux qu'il avait emporté avec lui du regard tandis que les deux autres combattants veillaient sur les environs avec un désintérêt plus ou moins notable. Force était d'admettre qu'ils ne craignaient pas grand-chose, en l'occurrence : le risque que des assaillants leur tombent dessus à la faveur de la nuit alors que leur voyage s'engageait tout juste était liliputien...

Le jeune érudit, toutefois, ne parvint pas à se plonger dans la lecture bien longtemps. Sa concentration était défaillante depuis quelques jours, et cette nuit-ci n'allait pas l'aider à apaiser cette facette de sa souffrance ; il referma donc son grimoire avec un claquement sec puis, après un bref soupir, s'échina à entamer maladroitement la discussion.

— Vous saviez que de tous les oiseaux connus, le kiwi est le seul à avoir des narines au bout du bec ?

— Non, répondit poliment Kurl.

Amara, quant à elle, ne chercha même pas à se faire entendre. Elle demeurait captivée par les flammes qui dansaient devant elle, comme si leur voracité trouvait un écho particulier en son for intérieur. Comme si elle se voyait d'ores et déjà les répandre sur le champ de bataille, quitte à embraser des cohortes de soldats ennemis... Satin, décontenancé par le manque de réaction successif à son anecdote qu'il trouvait pourtant adorable et intéressante, se racla la gorge un moment avant de reprendre, avec davantage de conviction.

— Le guépard et le renard ont une similarité amusante : ils ont tous les deux des griffes semi-rétractiles ! Ce qui n'est pas le cas ni des autres canidés, dont les griffes ne sont pas rétractiles, ni celui des autres félidés, dont les griffes sont rétractiles.

Kurl opina du chef silencieusement, en ne destinant au pauvre érudit qu'un regard des plus éphémères ; la jeune femme, encore une fois, demeura de marbre. Bouche bée, Satin sembla comprendre que les anecdotes animalières ne lui permettraient guère de ressusciter un tant soit peu d'entrain dans cette compagnie dont on l'avait gratifiée, laquelle s'avérait jusqu'à présent particulièrement morne ; alors il s'essaya à autre chose.

— Il existe des bambous qui peuvent grandir d'un mètre par jour. Imaginez, vous passez devant un petit plant qui n'atteint même pas vos genoux... deux jours plus tard, vous êtes déjà ridiculement petit en comparaison !

— A quoi tu joues, au juste, Satin ? répliqua cette fois-ci sèchement Amara.

La riposte verbale de sa camarade lui cloua le bec, l'espace d'un instant ; puis il afficha un sourire crispé avant de répondre d'une voix fébrile.

— Je... Je veux parler un petit peu, pour passer le temps...

— D'animaux et de bambous ?

— Eh bien... Non, pas forcément, c'était juste... Une amorce...

Elle leva les yeux au ciel, manifestement exaspérée. Il n'en fallut pas plus à Satin pour comprendre que son amie, quant à elle, n'avait guère le cœur aux bavardages ; d'ailleurs, elle ne renchérit guère et se focalisa à nouveau sur le brasier qui crépitait devant elle. Le jeune soldat se sentit blêmir et voulut se fondre dans la bûche sur laquelle il s'était assis ; Kurl dut remarquer son désarroi, néanmoins, puisqu'il lui offrit une échappatoire inespérée.

Le Royaume de BalhaanWhere stories live. Discover now