Chapitre 84

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Rodolphe et Erik avaient été les premiers à s'engouffrer dans ce tunnel pentu et boueux ; comme attendu, ils y avaient glissé longuement, disparaissant dans l'obscurité ambiante sans laisser franchement aux partenaires du quadragénaire l'opportunité de peser le pour et le contre de cette échappatoire incongrue. Sachant qu'ils n'avaient de toute manière plus d'autre solution que celle de suivre le mouvement, Dixan, Kurl et Silvia décidèrent de prendre les devants, considérant sans doute qu'ils pourraient intervenir en cas d'imprévus. Des éléments moins pugnaces s'engagèrent à leur tour, notamment Andrek et Sora, qui emportèrent avec eux la dépouille de Sylas et tout leur désarroi ; puis Laley, Amara, Aiz, Nakata. Ne demeurèrent finalement à la surface plus que Malir et Akis. Sachant pertinemment que le rouquin devait éprouver une frousse de tous les diables à l'idée d'entamer cette descente vertigineuse et aveugle, l'homme-invisible entreprit de s'approcher de lui en le rassurant : il lui posa une main sur l'épaule et, en mirant en direction de cette pente abrupte, prit la parole avec fierté.

— Vu tout ce que tu as pu accomplir aujourd'hui, ce n'est pas un si petit obstacle qui va t'effaroucher... Si ?

— Ah, euh... non ! Mais tu peux passer devant... je reste un peu derrière pour vérifier que... personne ne nous suit...

— Qu'est-ce que c'est brave de ta part, ricana Malir en retour. Et tu n'as pas peur de rester avec tous ces corps ! A ta place, je craindrais que Sidoni ne se relève. J'imagine qu'elle t'en voudrait, en plus.

S'il était déjà blême, Akis se mit en prime à suer à grosses gouttes : la seule perspective de demeurer sur ce champ où abondaient les défunts sembla l'horrifier, et il prit le parti de se rapprocher du toboggan de boue d'un pas... d'un pas de trop, en fait. Un peu trop volontaire dans son geste, le rouquin méjugea la fiabilité de ses appuis, à proximité de ce renfoncement aigu ; alors son pied glissa, son équilibre se déroba, et il commença à chavirer. Mais il ne le fit pas seul : son premier réflexe fut de se rattraper au col de Malir, et son pauvre camarade, qui ne s'y attendait guère, tomba le nez en avant dans la grotte que Rodolphe avait formée un peu plus tôt.

— Akiiiiiis ! entendit-il l'homme-invisible beugler tandis qu'ils commençaient tous les deux à dévaler cette pente escarpée.

— Désoléééé ! répliqua-t-il, épouvanté.

Bien incapables de ralentir l'allure, ils se sentirent brinquebalés tantôt à droite, tantôt à gauche, en fonction des caprices que leur infligeait ce boyau tortueux. Crispé, Akis crut à maintes reprises que ce périple allait s'achever durement, qu'il devait s'agir d'un piège savamment orchestré par l'Oracle et qu'ils s'étaient jetés en plein dedans sans réfléchir. Ses craintes les plus infondées se multiplièrent à mesure que les secondes se succédaient, sans qu'aucun changement notable ne semble intervenir : puis finalement une lueur apparut, au détour d'un virage des plus secs. Quelques mètres en contrebas, ils s'écrasèrent l'un sur l'autre lourdement ; la tête dans la boue, étalé de tout son long, le natif d'Aville se surprit à songer que cette sensation collante et désagréable lui était familière. Dans le même temps, Andrek vint à leur rencontre pour les aider à se redresser tout deux ; ils le firent piteusement tandis qu'ils avisaient la scène qui les entourait.

Quelques torches crépitaient çà et là ; d'autres trous étaient creusés dans les parois, laissant à penser que ce n'était pas la première fois que Rodolphe accédait à cette cavité souterraine. Ce constat était amplement renforcé par la présence d'un mobilier fruste : une table, quatre chaises, une commode où devaient figurer quelques bouteilles... Cela ressemblait bien davantage à une planque qu'à un gîte : et leur hôte mystérieux ne manqua pas de leur confirmer ce fait.

— Bienvenue chez moi ; ou plutôt dans mon deuxième chez moi. J'y passe de moins en moins de temps, mais je me suis dit que c'était préférable de marquer une halte là, le temps que vous puissiez vous reposer...

Le Royaume de BalhaanWhere stories live. Discover now