Chapitre 23

146 32 117
                                    


La Gargouille Bleue. Il n'avait qu'à trouver la Gargouille Bleue. Dès lors, il pourrait se contenter de patienter jusqu'à l'arrivée de ses camarades... Certes, il perdrait de précieuses heures qu'il aurait dû mettre à profit pour découvrir les spécificités de cette grande ville qui lui tendait les bras, mais tant pis... C'était un mal pour un bien. Sauf que c'était un mal pour un bien qui n'était pas exactement gagné par avance : pour y prétendre, il allait devoir s'orienter dans ces dédales d'avenues que myriades de passants arpentaient à qui mieux-mieux, sans lui prêter la moindre attention ni même lui décocher le moindre regard.

Cette pensée l'obnubila et le désorienta d'autant plus qu'il ne put s'empêcher de la mettre en parallèle avec la vie qu'il avait jusqu'à présent vécue à Aville, où tout le monde le connaissait et où il connaissait tout le monde. Avait-il jamais été considéré de cette manière, comme un inconnu profondément dispensable, que personne n'aurait pleuré s'il avait dû revêtir des guenilles miséreuses ? La réponse était évidente : non. Même si son quotidien avait drastiquement été chamboulé depuis son recrutement au sein de la Huitième Brigade, il n'avait jamais côtoyé que ses proches, ceux qui, par la force des choses, étaient devenus ses camarades. Même sur la grand-route, il n'était pas rare qu'on leur destine sourires et saluts énergiques. En l'occurrence, nul ne se souciait de savoir qui il était, ni ce qui avait bien pu l'amener à Corgenna : et pour cause, il n'était inscrit nulle part, ni sur son visage, ni sur ses atours, qu'il était là en sa qualité d'apprenti d'une des plus fameuses Brigades Royales.

Il sentit une bouffée d'anxiété lui emplir les poumons tandis qu'il tournoyait sur lui-même, comme pour tenter avec tout le désespoir du monde de distinguer le sourire narquois de Malir sur les visages qui l'entouraient. Après une poignée de secondes à agir de la sorte sans toucher au but, il se mit à craindre que ses camarades lui aient faussé compagnie volontairement ; il gomma finalement cette considération de son esprit, en estimant que cela pouvait certes être un acte de malice dont Malir pouvait se rendre coupable, mais que cela ne seyait guère à la bienveillance de Lani. Elle, au moins, devait être en train de le chercher activement.

Cela contribua à lui rendre quelques couleurs, et lui permit de reprendre son souffle à un rythme plus convenable, l'espace d'un instant ; mais d'un instant seulement, terriblement fugace selon sa propre perception, puisqu'on ne manqua pas de le bousculer sèchement quelques secondes plus tard. Il fit volte-face, quelque peu déconcerté, et constata que c'était un solide gaillard, probablement un marin, qui, transportant une caisse, l'avait ainsi chahuté inconsidérément. L'autre gars l'alpagua, quelque peu courroucé d'avoir à composer avec l'immobilisme d'un touriste égaré.

— Ben quoi, gamin ? Tu fous quoi, au milieu du ch'min, là ? Tu gênes tout l'monde ! Décarre un peu !

Il obtempéra sans répondre aux aboiements qui lui avaient ainsi été destinés ; il chercha d'ailleurs à s'éloigner du cœur de cette avenue qui, soudainement, lui parut être de plus en plus bondée. Les murs qui la bordaient étaient éloignés, de son point de vue. Terriblement éloignés, et il eut à maintes reprises besoin de jouer des coudes pour se frayer un chemin jusqu'à eux. Il parvint à se plaquer contre ce qui devait être une petite boutique à l'instant où trois cavaliers, probablement des soldats locaux, déboulèrent en hélant et en injuriant grassement les badauds qui leur coupaient la route ; piques en avant, ils se frayèrent un chemin et générèrent un mouvement de foule qui compressa le pauvre Akis contre l'édifice qui lui avait offert un refuge de bien courte durée ; Oscar, sur sa tête, lorgna avec majesté sur ces humains godiches qui, non contents de s'entasser par milliers à deux pas d'un rivage quelconque, avaient de surcroît le mauvais goût de tous s'aventurer dans les rues au moment où les passants affluaient en nombre, rajoutant un peu de cohue au fatras ambiant.

Le Royaume de BalhaanWhere stories live. Discover now