Chapitre 93

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— Les voici, les héros, croassa l'Oracle en les toisant avec mépris. Les Deux Invincibles. Nous vous attendions.

La défiance fut de mise, lorsque Nakata et Lida attinrent enfin le rez-de-chaussée de la prison Royale. Leur trajet s'était réalisé dans un silence religieux, que ni l'un, ni l'autre des deux commandants n'avait eu le goût de troubler. L'urgence n'était pas aux bavardages, ils en avaient bien conscience, l'un comme l'autre... même s'il allait sans dire qu'ils auraient eu beaucoup à échanger. 

En l'occurrence, leurs regards furent happés par les silhouettes fracassées et détrempées des soldats du Général Delistel, par les gravats qui devaient autrefois composer des Cydylaïns fringants, par ce hall d'entrée dévasté qui semblait avoir vécu le cataclysme de trop. Ils n'eurent pas besoin d'observer les environs longtemps pour découvrir Dixan et Charles ; les deux combattants se tenaient côte à côte, et, chose étrange, ne semblaient pas prompts à s'égorger l'un l'autre. Leurs deux paires d'yeux demeuraient focalisées sur la silhouette railleuse de l'Oracle, et leurs respirations, hachées, laissaient à entendre qu'ils en avaient bavé. Le vieux gradé, genou à terre, se tenait les côtes et affichait une mine sombre, quasiment résignée. Son glorieux partenaire, le lion démesuré qui faisait sa fierté, gisait à ses côtés sous la forme d'un tas de graviers. Il avait été broyé si violemment qu'il en était méconnaissable.

Mais l'état de Dixan demeurait encore plus préoccupant. Il était debout, certes ; mais il semblait à peine tenir sur ses jambes. De la moitié gauche de son front s'écoulait un épais filet de sang, lequel devait probablement obstruer son champ de vision. L'un de ses bras pendait le long de son corps, misérable ; sans doute était-il brisé, inutilisable. L'autre demeurait crispé, une tornade d'eau ne cessant de graviter tout autour de lui, prête à l'emploi. Il ne pouvait délaisser sa posture défensive, sachant que cela aurait offert une opportunité à son adversaire de le pulvériser. Il n'avait pas mené la danse un seul instant, depuis que l'Oracle s'était dévoilé ; et il y avait à cela une raison glaçante. Il perçut l'approche de Lida et de Nakata avec un brin de retard. Cela permit à la commandante de la Huitième Brigade de prendre les devants ; enragée, comprenant que son jeune frère avait souffert en son absence, et ce pour permettre son sauvetage, elle ne prit pas le temps d'analyser la situation plus avant, et se rua dans la direction de l'Oracle en saisissant au passage l'une des épées qui jonchait le sol, ayant autrefois appartenu à l'un des subordonnés de Charles Delistel.

— Attention, Lida ! beugla Dixan en constatant qu'elle le dépassait en trombe. Il a plusieurs pouvoirs ! 

— Voyons, Commandant, ne vendez pas la mèche si facilement... C'est inéquitable !

Il se gaussait de leur résistance opiniâtre ; il n'y voyait qu'un caprice enfantin, qu'une volonté futile de tenir tête à l'inéluctable. Et, à ce sujet, Dixan n'était pas certain de pouvoir lui donner tort... Il avait lutté de toutes ses forces, en partant du principe que vaincre l'Oracle pourrait leur permettre à tous de l'emporter sans avoir à causer davantage de troubles et de victimes innocentes. Le Général Delistel avait catégoriquement refusé de s'enfuir, et avait même fini par embrasser sa cause... mais même à deux contre un, ils n'avaient rien pu faire. Leur opposant avait disposé d'eux comme il aurait pu le faire avec des bambins. Il s'était amusé de leur témérité, s'était joué de leur agressivité... Les avait écrasé. Purement et simplement.

Lida bondit en arrivant à une poignée de mètres de son adversaire ; malgré sa faiblesse physique évidente, causée par sa détention spartiate, elle parvint à avaler la distance qui la séparait de l'Oracle et le menaça bientôt d'un coup d'épée descendant. Le fil de la lame qu'elle brandissait n'était pas le facteur le plus redoutable de cette charge frontale... et le Saint personnage sembla en prendre conscience, puisqu'il s'esquiva d'un bond preste. Il retomba à quelques pas de là, dans un geste si gracieux et si lent qu'il ne semblait pas réellement affecté par la gravité ; Lida, elle, percuta le sol violemment, dans la continuité de son geste. Les dalles qui se trouvaient là volèrent en éclats, et elle se redressa sans plus attendre, déterminée à l'idée de noyer son vis-à-vis sous une interminable pluie d'assauts.

Le Royaume de BalhaanWhere stories live. Discover now